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Le rapport entre la foi et la praxis sociale du sujet chrétien chez Johann Baptist Metz

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« La théologie politique n’est pas simplement théorie d’une application a posteriori du message chrétien, c’est une théorie de la vérité de ce message dans une visée pratique et historique concernant notre présent ». (J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale pratique, p. 108)

Cet article est la publication synthétique de notre travail de fin de cycle en théologie sacrée. Notre objectif est de mettre au clair le rapport existant entre la foi et la praxis (agir) du chrétien. Car une foi qui n’agit pas s’étiole et devient inexorablement une lettre morte. L’Epitre de saint Jacques nous le rappelle avec acuité : « A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : j’ai la foi, s’il n’a pas les œuvres ? » (Jc 2, 14).

La foi dans lhistoire et dans la societeEn effet, « Si la théologie est un discours sur Dieu, elle doit s’interroger sur le Dieu dont elle parle en restant à l’écoute des questions des hommes et des femmes dont nous ne pouvons ignorer les conditions et situations de vie » (J-M. ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, p. 8). Il n’y a pas donc de théologie en dehors de l’inscription dans l’histoire et dans la société.  Malheureusement, nous vivons dans une société caractérisée par l’inadéquation entre la foi et la praxis, la croissance des inégalités socio-politiques, la gangrène de corruption, l’absence de redevabilité, la « démocrature », la globalisation, les conflits ethniques, les violences, les oppressions et les injustices, etc. Dans cette optique, la montée vertigineuse de religiosité ne fait que multiplier le chapelet de brouhaha et le regard rivé sur le miraculisme parfois contemplé à dessein, ne fait que renforcer le niveau d’angoisse. Or, une religion qui ne s’ouvre pas aux conditions dégradantes de la vie tombe dans une spiritualité désincarnée. Quand la religion vénère l’ordre politique envahissant, elle cesse d’adorer le vrai Dieu. Quand la religion perd sa vue de dénoncer ; elle devient hypocrite et aveugle. Comment redécouvrir la force de l’Évangile, celle qui renverse les paramètres de jugement ?

Il va s’en dire que la réflexion théologique doit être faite en vue de rendre à l’Eglise son authenticité en face d’un monde qui écrase toute spécificité religieuse et foule aux pieds les opprimés, surtout les victimes de viol et violence dans le monde en général et, plus particulièrement, dans la « zone martyre » (Est) de la R.D. Congo. C’est pourquoi la foi dans le Dieu de l’histoire ne consiste pas à détourner les hommes et les femmes de leur inspiration à la libération. Au contraire, elle garantit un combat pour la dignité de tout être humain et de la libération universelle. La foi en la résurrection de Jésus ne s’arrête pas au niveau d’une consolation morbide. Cependant, elle permet de restaurer l’homme dans ses droits les plus fondamentaux et augure le rétablissement de la paix sociale. Cette paix suscite plus radicalement un témoignage vivant quant à la solidarité, l’amour et la justice dans le monde.

L’homme, appelé à être sujet devant Dieu doit faire valoir l’adéquation entre foi et praxis. Cela est possible dans la mesure où « la foi des chrétiens est une praxis dans l’histoire et la société, qui se comprend comme espérance solidaire dans le Dieu de Jésus (…) » (J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale pratique, p. 97).

La théologie metzienne veut éveiller en nous la capacité de savoir articuler l’orthodoxie et l’orthopraxie comme dynamique d’une vie chrétienne répondant aux valeurs de Celui qui a mené son existence dans une harmonie de foi et d’action sans rougir. Et vivre de cette façon, met directement au clair le contexte de l’histoire de l’humanité et toutes les blessures qui en découlent. Mais, Comment devons-nous appréhender l’articulation de la foi dans la théologie politique de Metz ? Au regard de cette théologie, en quoi consistent le sens et la portée du discours sur le « primat de la praxis » du sujet ? Face aux conditions dramatiques où vit le sujet chrétien dans la zone orientale de la R.D. Congo, comment la foi et la praxis peuvent-elles lui être d’une importance capitale ?

Le point focal de notre réflexion s’est décliné sous une triple dimension à savoir : la compréhension de la foi selon la théologie politique de Metz ; le primat de la praxis comme principe du sujet chrétien et la réponse théologique metzienne face au drame dans la partie Est de la R.D. Congo.

Comprendre la foi selon la théologie politique de Metz

Dans ce premier chapitre, nous avons tenté de montrer que la foi se joue sur l’aire de l’histoire de l’humanité. La foi, puisqu’elle est chrétienne, elle a affaire avec l’actualité, qui seule lui permet de s’insérer dans la grande trame vivante de l’unique histoire. Manifestement, la foi comme mémoire de la souffrance apparaît comme la seule façon de médiatiser l’histoire et son sens. Et elle reste un projet de l’homme en Jésus-Christ. Elle ne peut pas avoir du poids en dehors du lieu où se réalise le destin de l’homme.  

Pour Metz, la foi détient un caractère subversif, capable de dire non à toute privatisation de la religion d’où qu’elle vienne. Dans ses analyses, notre auteur nous fait comprendre que la privatisation de la foi a conduit à des dérives théologiques. Raison pour laquelle la foi doit être comprise comme mémoire dangereuse qui met en branle et les vivants et les morts de l’histoire.

Ainsi, dans la foi, les chrétiens accomplissent la memoria passionis, mortis et resurrectionis Jesu Christi. Ils se souviennent, en croyants, du testament de l’amour du Christ, dans lequel la seigneurie de Dieu apparut parmi nous justement au travers de ce que la seigneurie a été initialement déposée parmi les hommes, de ce que Jésus s’est déclaré aux modestes, aux exclus et aux opprimés, et qu’il a annoncé cette seigneurie advenante de Dieu justement comme force libérante d’un amour sans réserve. Pour y parvenir, notre auteur critique la philosophie des Lumières qui a mis en privé la religion à cause des intérêts. La société bourgeoise a mis de côté les victimes de souffrances et les pauvres.

Promouvant la déprivatisation de la foi, le théologien allemand nous invite à considérer que la foi est une référence obligée pour vivre pleinement dans la société. C’est sur cette voie que la foi chrétienne peut s’ouvrir à la praxis dans le chef du sujet. C’est dans cette optique que la foi peut endosser sa véritable valeur, car le Dieu de Jésus-Christ n’est pas monolithique, il s’ouvre au monde et incite les chrétiens à poser des gestes qui crédibilisent leur foi.

Dans cette lancée, METZ a récusé l’Afklarüng qui a conduit la foi dans la sphère du privé. Tout cela parce que « la privatisation a réduit Dieu et le salut à n’être que les corrélatifs de la vie privée et de faire du message eschatologique la simple paraphrase symbolique des problèmes métaphysiques de l’homme et la situation où doit s’inscrire sa décision personnelle » (JB. METZ, Pour une théologie du monde, Cerf, Paris, 1971, p. 129.) Et les conséquences théologiques, entre autre les crises de la tradition, de l’autorité et de la raison ont aidé notre auteur a entamé le procès de déprivatisation de la foi.

Le primat de la praxis comme principe du sujet chrétien

Dans ce deuxième chapitre, nous nous sommes attelé sur le primat de la praxis du sujet chrétien. En effet, la praxis (l’agir) chrétienne avec sa dimension pathétique (tristesse, joie, solidarité) touche de près les sujets non majeurs, impuissants et opprimés. En organisant une architecture théologique qui palpe du doigt la misère et la souffrance des vaincus de l’histoire, des pauvres, des abandonnés, Metz nous a convié à une éthique chrétienne qui se veut promotrice des valeurs et qui, sous ses aspects polyédriques, est un filon d’« espérance qui ne trompe pas » (cf. Rm 5, 5). C’est dans cette optique que nous avons fait appel aux catégories de la mémoire et du récit. Ces deux phares nous ont servi d’éclairage pour sonder la compréhension théologique de la souffrance et ses retombées dans l’histoire. En plus, dans la praxis, définie selon le pathétique, la suite du Christ fait dire au chrétien que l’être humain mérite sa dignité. Les chrétiens, rappelle MOLTMANN, « ne vivent donc pas d’eux-mêmes et pour eux-mêmes : ils vivent de la seigneurie du Ressuscité et pour la seigneurie à venir de celui qui a vaincu la mort et qui apporte la vie, la justice et le Royaume de Dieu » (J. MOLTMANN, Théologie de l’espérance, p. 350).

La réponse théologique metzienne face au drame dans la partie Est de la R.D. Congo

Dans ce troisième chapitre, nous avions interrogé le contexte froid qui annihile et réifie la vie du sujet chrétien vivant dans la partie orientale de la R.D. Congo (cf. notre article sur la mémoire de la souffrance en R.D. Congo, quelle réponse metzienne ? Pour une théologie politique favorable).  Rappelons-le que c’est l’une « des régions les plus meurtries, les plus malmenées, les plus écrasées, les plus torturées, les plus dévastées et les plus déchirées par les violences meurtrières dans le monde actuel » (KÄ MANA, « Pour la paix aujourd’hui. L’expérience de Pole Institute en R.D. Congo et les enjeux de la non-violence dans la région des Grands Lacs », in J-B. KENMOGNE et KÄ MANA (dir), Pour la voie africaine de la non-violence. Religion, politique, développement et éducation à la paix dans la société africaine, p. 151).  

A bien des égards, « la mémoire de la souffrance apporte au contraire une nouvelle imagination morale dans la vie politique, une nouvelle imagination de la souffrance d’autrui, où va mûrir l’idée d’une partialité débordante, et sans calcul, en faveur des faibles et des sans-voix » (J. B. METZ, La foi dans l’histoire et dans la société, op.cit., p. 138). En plus, KINOMBE pense que « la mémoire est cet événement qui interpelle universellement la singularité humaine. Il y a ce proprium qui se sépare de la religiosité qui fuit le monde et l’histoire pour se réfugier soit dans les formes sclérosées d’une doctrine sans pathétique, soit dans des rideaux sans cohérence d’émotion, gouverné et dirigé par des chefs fantômes » (J-C. M. KINOMBE, Donner la vie en abondance pour un christianisme congolais crédible. Au-delà des prétentions du christianisme exaltationiste, p. 21). Et c’est l’Église qui transmet cette mémoire dangereuse dans les structures de la vie sociale. Il ne s’agit pas ici d’une résignation, encore moins, d’une naïveté aberrante ; il s’agit plutôt d’un état de vie qui met à son actif le caractère dangereux qui découle du souvenir.  Le souvenir n’est pas une illusion qui se dissout dans l’histoire, mais il marque la conviction d’une histoire où le croyant peut faire résonner à nouveau frais la Parole de l’Évangile. C’est le geste tout à fait prophétique auquel Jésus fut allusion quand il prit et ouvrit le rouleau à la synagogue de Nazareth (Lc 4, 18-19).

Sur cette voie, nous avons élaboré une réflexion découlant de l’action et de l’obéissance à l’Evangile afin que, face à la souffrance du sujet chrétien qui vit dans la partie orientale de la R.D.C. Congo, nous puissions concilier la foi et la praxis. C’est pour cette raison que le Pape JEAN PAUL II, dans sa première lettre encyclique Redemptoris Hominis, faisait remarquer que seul « l’homme est la première route et la route fondamentale de l’Eglise, route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption » (RH 14). C’est cela l’engagement envers le Christ, doublé de l’agir dans les crises que traverse la zone orientale de la R.D.Congo. C’est sous cet angle que nous pouvons rêver d’un christianisme qui fait jaillir la solidarité dans sa dimension mystique et politique pour la construction d’une paix durable dans la zone Est de notre mother-land, la R.D. Congo. Ce qui nous fait dire avec COSTE que « la dynamique de la paix est une histoire qui se construit, en dépendance d’une histoire antérieure, où interfèrent les plus variées responsabilités. Du point de vue de la foi, elle s’insère aussi dans l’histoire de Dieu avec les hommes : de Dieu qui respecte leur liberté, mais poursuit aussi son plan de salut à travers tous les méandres de l’histoire et qui appelle les consciences à la justice, à la solidarité, à la fraternité et à la paix » ( R. COSTE, La théologie de la paix, p. 293).

Lucien Bisimwa Nakalonge sx
07 Febbraio 2024
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