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Du rêve au désir et du désir au projet de vie : en communauté

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La communauté est une réalité qui est et qui se fait chaque jour avec l’apport et l’implication de chacun de ses membres. Elle constitue la beauté qui nous a fait rêver et qui éveille le désir des nombreux, mais elle est aussi un des défis qui déroutent concrètement certaines personnes dans leur projet personnel. Nous affirmons la vie communautaire comme une « vocation » et considérons que le passage du rêve au désir implique connaître et se connaître, décider et se décider, choisir et choisir de se donner. Il est impératif, connaître les tenants et les aboutissants de la vie en communauté ; se connaître individuellement avec ses limites et ses qualités au moment de s’engager sur tout itinéraire en commun. Décider quoi faire et quoi ne pas faire, décider sur ce que l’on veut exactement devenir et donc, décider sur sa vie. Choisir et probablement pas se choisir, opter des attitudes, faire des options en vue d’une harmonie, une vie pour et avec les autres. La vocation à la vie communautaire est une rencontre avec l’altérité qui constitue pour chacun de nous une possibilité et un devoir de liberté et de responsabilité. Dans nos rapports avec le monde et dans nos relations avec les autres, nous avons la possibilité de découvrir l’appel de Dieu et d’y répondre avec une grande liberté. A travers la qualité de nos choix, nous décidons et entrons en relation ; et c’est dans le dialogue et la rencontre que les deux paramètres de liberté et responsabilité s’auto-qualifient et qualifient le désir de faire de nos rêves une réalité, ou du moins, un projet de vie.

1. Du rêve au désir, au projet de vie.

Nous devons admettre qu’un projet de vie est objet d’une longue gestation. Il n’est pas seulement question d’idées claires sur sa propre situation. Il est aussi question d’une existence cohérente et unifiée, tout un style d’approche et un itinéraire fait d’indications opératives réalistes. En tout et avant tout, elle est fondamentale la liberté de se projeter : elle constitue un des instruments significatifs dans la réalisation d’une existence authentiquement réussie.

Après le premier « oui », souvent motivé par une situation idéale qui nous est présentée, nous devons nous mettre en route, commencer un parcours formatif qui ne finit plus jamais. Dans la période initiale de la formation et dans celle successive qui se caractérise par des engagements apostoliques, nous sommes appelés non seulement à désirer ce qui nous a été proposé, l’idéal que nous avons un jour rêvé ; mais faire de sorte que cet idéal devienne le motif de nos gestes et paroles, la beauté qui nous attire et nous pousse à chanter chaque jour un chant nouveau. Nous le désirons, nous le choisissons et nous y consacrons les énergies nécessaires parce, entre autres, nous y croyons. Il ne s’agit plus d’une idée et d’un projet étrange à nous, mais quelque chose qui nous fait vivre et sans laquelle notre vie n’aurait pas le goût. En d’autres termes, pour passer du rêve au désir et du désir au projet ; et donc à la décision de tout abandonner – même les choses belles que nous possédons – nous devons nous convaincre d’avoir en face cette perle ou ce trésor qui vaut encore beaucoup plus que ce que nous sommes et avons jusqu’à présent. Cette perle précieuse et ce trésor pour lesquels on vend tout et l’on commence, avec grande joie, une nouvelle vie (cf. Mt 13,44-46).

Un projet de vie qui se veut sérieux commence par un regard profond sur les racines de ses rêves[1] et attentes à l’égard du futur ; rêves que, entre autres, chacun de nous nourrit et cultive depuis l’enfance. Ils ne peuvent pourtant pas se transformer en projet de vie, et ainsi se rapprocher à la réalité, que dans la mesure où ils sont accompagnés par la force du désir. Le désir, à un niveau plus supérieur, doit activer et alimenter les lignes encore vagues de nos rêves par des motivations et des sollicitudes claires. De cet état de choses, il est alors possible passer au stade suivant qui est celui du projet. Si le désir se présente comme une tension vers le futur, le projet devient ce pont qui connecte le présent au futur et s’élabore sur une situation concrète, réalisable et sans conditionnement ni contrainte.

La perspective relationnelle constitue le modèle théorique sur lequel nous voulons baser ce passage du rêve au désir, jusqu’à arriver au projet de vie, en communauté. Nous sommes convaincus que l’individu est un être relationnel et qui se réalise dans la relation. Le passage dont il est question n’est pas automatique, mais dans tous les cas, avec les facilités et les difficultés qui sont réelles, accompagne les devoirs de base de la croissance – à savoir : la subjectivité, l’altérité, la continuité et la projection – que comporte le mystère de la vie. Dans le rapport avec la mère, l’individu naît psychologiquement dans sa subjectivité, et se développe dans le temps et dans l’espace grâce à ses capacités de nouer des relations en famille et en communauté. C’est dans cet espace qu’il prend forme et arrive à la maturité, dans la contemplation de sa fin ultime. Tout en demeurant identique et unique, il se retrouve appelé à l’auto-transcendance dans l’amour et à donner ainsi sens à sa vie et à ses relations.

Passer du rêve au désir, et du désir au projet de vie, implique et exige de chacun le déclenchement d’un processus de maturation relationnelle. Sur ce, il est nécessaire activer une série d’attentions : une attention à soi-même ; une attention aux relations avec les autres et une attention à la relation avec Dieu. Ce sont là trois facteurs ou trois secteurs de relations intimement et profondément liés entre eux. Nous ne pouvons pas nous faire des illusions et prétendre vivre pour nous-mêmes, sans aucune relation avec les autres. De même, nous ne pouvons pas nous faire des illusions et prétendre que tout fonctionne sans aucun effort de notre part. Ceci revient à dire qu’il s’agit d’un processus assez exigent et sur lequel nous devons commencer par prendre les choses très au sérieux, sans rien dramatiser et sans terrifier. L’angoisse et la peur, souvent, paralysent et poussent à tout abandonner.

L’attention à soi-même : implique une connaissance de ses ressources et une acceptation de ses propres limites. Cela implique aussi une progressive conscience de ses besoins, mais aussi une capacité d’adaptation. Il est aussi question de se disposer à percevoir et à communiquer ses émotions, savoir y réfléchir avant de se décider et d’opérer des choix. C’est enfin, devenir de plus en plus autonome et responsable sur le parcours entrepris.

L’attention aux relations avec les autres : signifie globalement construire des relations affectivement et effectivement significatives. Vivre un équilibre entre l’intimité et l’autonomie, se dépasser et s’ouvrir, dans la droiture, au respect de l’autre, à la générosité, à la gratitude et à la gratuité. C’est en même temps s’exprimer et recevoir l’attention des autres, construire des relations riches de réciprocité, mais aussi de collaboration dans la création des idées, des projets et des initiatives pour le bien commun.

L’attention à la relation avec Dieu : signifie vivre un profond rapport avec le Seigneur, remplir le cœur de cette relation et faire de Lui le centre de gravité de toute l’existence. Au fond, toutes nos actions, paroles et pensées, doivent s’orienter vers la collaboration, jour pour jour, avec le même Seigneur, pour la construction du Royaume des cieux.

En somme, il est question d’avoir une conscience de l’idéal auquel on est appelé et du grand don que cela comporte ; une connaissance et acceptation de soi ; une bonne estime de soi et un caractère joyeux ; une capacité relationnelle et un désir profond de s’auto-transcender, se projeter vers le futur de manière réaliste, vivre libre de toute fausse espérance et de toute illusion, ainsi que le courage et la liberté de réaliser des choix responsables, dans l’ouverture à la complémentarité et au dynamiques communautaires. Ces trois attentions, ci-haut citées, renforcent la dimension vocationnelle et communautaire en nourrissant en chaque personne engagée à faire le passage du rêve au désir et du désir au projet, un sens d’appartenance. L’appartenance, en effet, est un aliment qui nous donne force pour aller de l’avant, pour orienter nos mouvements de manière constructive et générative, dans le respect de notre vocation et celle des autres. L’appartenance renfonce en nous l’engament à vivre et à se projeter en communauté et avec la communauté : un vivre qui n’est pas lié ni au seul savoir ni seul faire et non plus au seul être ; mais qui trouve sa réalisation et sa synthèse dans le savoir-faire et dans le savoir-être avec et pour les autres.

2. Vivre et se projeter en communauté et avec la communauté

Chaque personne grandit en maturité en fonction de tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait, de toutes les expressions qui caractérisent ses relations au quotidien, de toutes les sensations de joies et douleurs, et aussi de décisions et choix qu’il effectue, de sa capacité de vivre pour et avec les autres : grandir c’est avoir un projet pour lequel on vit, et l’on est disposé à tout mettre en jeu, et donner sens à son existence. Il est difficile de grandir sans une implication personnelle et sans une ouverture à la collaboration humaine. La force et la volonté de faire des choix et prendre des décisions cohérentes donnent lieu à un projet crédible et rend possible une existence communautaire de vie.

2.1. Etre et devenir

Entre l’être et le devenir, il y a un long travail de patience, courage et optimisme. Parmi les critères éducatifs qui accompagnent la nécessité de vivre en se projetant, il y a celui de l’implication de la personne en premier lieu, dans son processus de croissance et d’apprentissage. C’est cela qui constitue le passage de l’être à la conscience de devenir. Si la communauté se fait continuellement, la personne aussi se fait continuellement. Etre et devenir, dans une perspective de projection, implique une personnalisation, une progressivité et une participation responsable.

La personnalisation, dans le passage de l’être au devenir, permet d’apprécier l’expérience et le bagage de créativité dont on est porteur ; de prendre la responsabilité de les mettre à disposition pour une plus grande transformation. Le principe de personnalisation stimule la grâce de Dieu qui est en nous, nous permettant de répondre positivement à ses appels et de nous rendre totalement disponibles pour le service aux frères. Concrètement, il s’agit d’un exercice de valorisation et de tension vers la construction d’une nouvelle histoire, dans la vigueur prophétique d’un charisme. Nous pouvons avoir d’autres sollicitations, mais l’on apprend désormais à hiérarchiser les valeurs et les contenus que nous rencontrons sur notre chemin de croissance.

Avec la progressivité, nous faisons face à la longue et nécessaire période d’intériorisation. Soit au niveau personnel comme au niveau communautaire, les objectifs à atteindre sont accompagnés d’un effort de conviction et de motivation qui sont aussi en fonction des étapes à faire et de la capacité de croissance de chaque personne. La démarche éducative se déroule suivant une manière progressive et unitaire en vue de former des personnes capables de comportements responsables (C 55).

La participation, cependant, fait de chacun de nous protagoniste. Dans les initiatives à mettre en place, il est conscient et s’implique dans l’organisation comme dans la programmation, dans la réalisation comme dans les nécessaires évaluations. L’idée est celle de prendre en considération les qualités, les intérêts et les capacités de la personne dans un climat libre d’imposition, et essentiellement motivant et libérant.

2.2. Le projet personnel de vie

Le projet personnel de vie est un facteur dynamique et constructif. Il est nécessaire pour la croissance et la maturation de la personnalité. De ce point de vue, il est une recherche de direction à donner à sa vie, un questionnement continu sur soi et une préoccupation en vue de trouver un sens à ce que l’on est et ce que l’on fait de sorte à se forger une place dans la société, indépendamment de conditionnements sociaux et culturels.

Il s’agit de chercher et de retrouver l’identité personnelle dans un itinéraire de vie autonome, avoir des références modelées sur des personnes significatives, correspondre aux exigences de sa personnalité et construire son rôle dans le monde à travers des réalisations uniques et irrépétibles. Dans ce sens, le projet personnel de vie est au centre du développement et de la restructuration de la personnalité selon un objectif et un sens profond que l’on veut pour soi-même. Il constitue un centre de concentration et d’intégration qui unifie toutes les dimensions et toutes les énergies de la personne.

A ce qui précède, il est nécessaire associer l’idée de la vocation, de l’appel, qui donne encore plus de force à ce que l’on fait et sans pour autant le limiter à un simple métier ou une simple profession.  Pour qu’un idéal à atteindre ou à réaliser soit riche de sens, il ne doit pas se limiter à une exclusive recherche de soi ; au contraire, il doit être ouvert aux autres et à Dieu. Plus en haut, disions-nous, en partant de l’inclinaison naturelle chez l’homme, celui-ci se développe dans un contexte social et relationnel. De même, tout homme a la possibilité de correspondre à une instance intérieure, indépendamment de la conception religieuse qui guide sa vie. Pour nous, croyant, l’initiative de Dieu qui nous appelle à travers une particulière expérience de vie, devient fondamentale au moment de réaliser ou penser un projet de vie.

Un projet personnel de vie doit donc porter des lumières et mettre en ordre le parcours existentiel de tout un chacun, consolider l’identité personnelle au sein d’un contexte social et historique concret, favoriser la croissance harmonieuse de soi, mettre à l’épreuve la personne vis-à-vis des risques et difficultés existentiels qui sont inévitables. Il ne s’agit certainement pas d’un produit finit, mais plutôt d’un chantier ouvert et toujours à faire. En effet, aux côtés des risques et difficultés, le projet met en évidence aussi les limites, qui peuvent être liées à la personne même ou qui peuvent être de l’ordre externe. Pour ces raisons et tant d’autres, le projet doit être objet d’un long et constant discernement, élaboré dans la responsabilité et dans la conservation de la joie et de la ferveur initiales, qui doivent être toujours croissantes.

Dans tous les cas, le projet personnel n’est jamais quelque chose de statique, ou qui se réalise une fois pour toutes et pour toujours. C’est un processus dynamique, un devenir, un être toujours en construction. Il peut avoir des moments diversifiés, mais nous ne devons jamais négliger ou baisser d’attention sur : une connaissance et une acceptation de soi, sans peur d’être jugé par les autres ; l’urgence de se faire un cadre de valeurs sur lesquelles fonder ses actions et ses choix ; le besoin de savoir se programmer et étudier les diverses situations et possibilités que la vie nous présente ; la nécessité de développer une bonne capacité de décision, en laissant d’un côté les préjugés qui peuvent nous accompagner, et de l’autre, les conditionnement du milieu ambiant. Ceci est utile pour vivre fidèlement un projet vocationnel de vie et regarder au-devant de soi le futur sans se faire de souci pour ce qu’a été le passé personnel. Et de cette manière, un projet personnel de vie, peut s’ouvrir alors à un projet communautaire de vie, à une nouvelle relation avec soi-même, avec les autres et avec Dieu.

2.3. Le projet communautaire de vie

Il suffit de faire un regard rapide pour se rendre compte de la quantité des textes publiées sur la vie communautaire et sur le projet communautaire de vie. Cependant, malgré le chemin déjà fait, nous nous sommes souvent limités à considérer la communauté comme une organisation. La vie en communauté n’est pas une organisation ; elle est plutôt une vocation. De ce point de vue, nous pouvons bien comprendre l’origine et le fondement de toutes les crises d’appartenance et d’auto-émargination auxquelles nous assistons dans nos sociétés et dans la vie religieuse. Le crise d’appartenance et d’auto-émargination, comme les difficultés à s’insérer dans un projet communautaire de vie, sont alimentées, entre autre choses, par une superficialité spirituelle, un manque de principes solides, et un rythme de travail frénétique sans ancrage. On a l’impression que tout le monde cherche à avancer dans le vide et sans perspective, sans parler de la tentation et de l’illusion du résultat immédiat et sans effort. L’aube d’une nouvelle identité est à nos portes, mais nous avons du mal à nous laisser éclairer dans nos démarches : après les considérations faites en rapport avec le projet personnel de vie, nous sommes convaincus que le projet communautaire de vie doit s’élaborer et se vivre dans la redécouverte de la communion, de la fraternité, de la complémentarité et de l’interdépendance.

Il est nécessaire prendre conscience de sa situation personnelle, mais il est de même nécessaire, arrivés à ce point, prendre conscience qu’il y a vie là où il y a diversité. Logiquement, je ne suis pas à l’origine de ma propre vie, je suis fruit d’une relation. Ma vie, je la reçois de quelqu’un d’autre, qui s’est donné pour moi et à moi, par amour : Dieu. Notre existence n’est pas fruit d’une série de coïncidences, mais elle est liée à la providence de Dieu, qui a voulu que nous existions et qui prend soins de nous, nous accompagne avec intelligence et amour. Dans sa manifestation, il fait de l’histoire de chacun de nous une histoire du salut. Cependant son bon vouloir a été que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu en faire un peuple qui le connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté.[2] Il en va donc de notre liberté et responsabilité savoir lire et interpréter notre histoire de vie à la lumière de ce mystère. Voilà sur quoi, en plus des éléments, déjà mentionnés antérieurement, pouvons-nous fonder l’idée d’un projet communautaire de vie : connaître Dieu dans la vérité et le servir dans la sainteté.

Vivre et collaborer ensemble n’est jamais une chose facile, mais nous devons nous laisser conduire par le désir de la vérité et la joie de se conformer à la Volonté du Père, selon l’exemple du même Christ qui s’est fait obéissant (cf. Phil 2,5-11). Suivant l’exemple de Jésus qui s’est fait l’un de nous dans l’incarnation, nous aussi nous devons nous faire solidaires avec les frères auxquels et avec qui nous sommes envoyés ; auxquels et avec qui nous voulons annoncer l’Évangile de l’amour de Dieu, en participant effectivement, avec du sérieux et humilité, à leur vie réelle.

Si nous voulons vivre une existence réussie sur le plan communautaire, nous devons accueillir l’inspiration intérieure qui met constamment les personnes en mouvement, l’Esprit inspirateur, maître de la symphonie communautaire, qui n’admet aucune médiocrité. Autrement, nous sommes exposés à un style de vie fait de routine et des habitudes qui ne sont pas inspirées et orientées sur la volonté de vivre pour et avec les autres.

Se projeter en communauté et avec la communauté implique marcher vers des objectifs et des réalisations en commun, qui sont aussi fruit de l’inspiration divine. Même ici, la clarté des idées ne suffit pas pour construire matériellement le projet et le faire fonctionner. Il est nécessaire un long travail de patience, en supportant les difficultés liées aux attentes, aux différences et aux résistances. Dans tous les cas, nos petits pas que nous pouvons réaliser chaque jour sont appelés à devenir des stratégies pour un constant chemin de croissance. Pour un bon équilibre, nous pouvons, cependant, mettre en évidence des caractéristiques qui peuvent garantir un cheminement sérieux et une croissance au quotidien :

  • Vivre le présent sans se replier sur le passer, et non plus se réfugier de façon utopique vers le futur. Il n’est pas rare d’observer un refoulement de la réalité présente là où l’on expérimente des petites et des grandes difficultés dans la vie communautaire. On n’a plus de temps ou des espaces concrets pour se rencontrer et se confronter ; pour s’écouter, se pardonner et se soutenir. Il est donc nécessaire ralentir le rythme du temps et de nos activités, pour entrer sérieusement en relation avec les personnes avec qui nous partageons le même projet. Il est aussi nécessaire s’arrêter pour réfléchir sur ce que nous sommes et sur ce que nous faisons, mais avec les personnes sur qui nous pouvons compter avec joie. Nous ne pouvons pas nous exposer au risque d’être engloutis par nos propres projets.
  • S’habiliter au discernement constant, avec une bonne capacité critique vis-à-vis de la réalité. Savoir pondérer et évaluer nos gestes et paroles, notre implication personnelle dans les décisions. Même ici, nous devons avoir présent des points de références, c’est-à-dire, les convictions et les idéaux qui nous réunissent et autour desquels nous organisons le projet communautaire de vie. Tout doit partir de l’aide qui nous vient de la Parole de Dieu, du charisme institutionnel et des personnes que nous estimons avancées en expériences et maturité sur le chemin de consécration et de vie en communauté.
  • Ecouter patiemment les personnes qui nous guident. Sur les voies de la croissance et de la guérison intérieur – car nous pouvons aussi définir en ce terme le fait de vivre et de se projeter en communauté – nous avons besoin des personnes expérimentées, à qui nous pouvons, en toute confiance, nous diriger et trouver de l’aide pour vivre l’appartenance dans un projet communautaire de vie. Si nous entreprenons un projet communautaire de vie, avec l’illusion de vivre pour nous-mêmes et sans difficultés, nous restons ignorants et nous sommes voués à rester esclaves de nos besoins, de nos rêves et de certains modes culturels qui ne pourront jamais trouver des lignes opératives et un chemin de réalisation.

Nous pouvons énumérer autant de valeur à prendre en considération pour la constitution d’un cadre de références. Mais nous estimons essentiels les éléments de liberté et de responsabilité, pour mettre de l’ordre dans son existence et s’engager dans un projet communautaire de vie. Il est impérativement nécessaire retrouver le sens de la relation, de la communion et de la fraternité, mais tout ceci commence essentiellement par une conscience profonde de la liberté et de la responsabilité que chacun de nous possède. C’est de là que nous pouvons retrouver la passion et le goût de vivre et se projeter avec et pour les autres.

3. Dans la liberté et la responsabilité

Tout projet de vie tend vers la croissance jusqu’à faire de l’homme maître de soi au sens plein du terme, et à même de faire don de sa vie. Voilà pourquoi la personne doit veiller, et le même projet éducatif doit veiller, à susciter les valeurs de la liberté et celle de la responsabilité, pour pouvoir faire de la personne un interlocuteur qui entre en dialogue avec Dieu et avec les autres, vivant sa réponse vocationnelle de manière réussie.

Etre libre et responsable est synonyme de devenir adulte. Se conformer au Christ, avoir ses mêmes sentiments, voilà l’objectif à poursuivre dans tout projet communautaire de vie, en vue du Règne des cieux. Ceci revient à dire que les personnes qui se mettent à la suite du Christ, doivent choisir, décider et agir de façon autonome et responsable dans les engagements liés à leur état de vie et à leur professionnalité. Bien au-delà, ils doivent combiner leurs expériences quotidiennes, conformément à leur vocation, avec cohérence et conviction.

En conclusion, la liberté et la responsabilité doivent nous aider à penser, à agir et à revoir nos parcours sans tomber dans la tentation de :

  • Faire des choix en attente de recevoir, en rapport avec Dieu et les frères, quelque chose en retour ;
  • Vivre l’appartenance et agir en recherchant la reconnaissance, au risque de tomber dans la dépression et l’agressivité si nos attentes ne se réalisent pas ;
  • Voiler nos faiblesses et limites pour éviter de lutter et s’auto-transcender dans l’amour ;
  • Se renfermer dans l’autoréférentialité et vivre l’isolement pour éviter tout dialogue et toute communication ;
  • Refuser de se faire un projet de vie, par peur de faire face au futur et à son futur, par peur de vivre l’appartenance et construire avec les frères une expérience unique, belle et pleine d’espérance.

Passer du rêve au désir et du désir au projet de vie, est une question cruciale d’amour. C’est se découvrir aimés et se lancer soi-même dans l’aventure d’aimer à son tour. Qui m’aime ? Et qui j’aime moi-même ? sont des questions qui peuvent accompagner avec sollicitude et intériorité l’art de se projeter et de programmer sa vie, avec la conscience qu’il s’agit d’un parcours à toujours recommencer, suivant le modèle du Christ.


Références bibliographiques :

Concile Vatican II, Lumen gentium, 1964.

--, Optatam totius, 1965.

--, Perfectae Caritatis, 1965.

Jean Paul II, Pastores dabo vobis, 1992.

Civcsva, La vie fraternelle en communauté, 1994.

Dagnino A., Problematica educativa conciliare, Brescia, Queriniana, 1982.

--, Il cantico della fede, Bologna, EMI, 1991.

--, Il cantico della comunità cristiana, Bologna, EMI, 1997.

Roggia G.M., Il progetto di vita personale, in Gambini P. et ali., Formazione affettivo-sessuale. Itinerario per seminaristi e giovani consacrati e consacrate, Bologna EDB, 2017, 341-347.

Gambini P. et ali., Mete, criteri e fasi dell’itinerario, in Id, Formazione affettivo-sessuale. Itinerario per seminaristi e giovani consacrati e consacrate, Bologna EDB, 2017, 377-390.

Nouwen H., Sentirsi amati. La vita spirituale in un mondo secolare, Brescia, Queriniana, 312019.

[1] Le rêve est un élément important sur le parcours de notre croissance. Il révèle notre monde intérieur et mystérieux, mais il active aussi en nous des énergies précieuses pour la créativité et l’engagement. Il constitue une anticipation d’un monde fantastique que nous sommes appelés à transformer en une réalité. Combien de fantaisies de notre enfance nous ouvrent parfois des horizons de vie, et aujourd’hui, en adultes, nous continuons à les cultiver pour qu’elles ne finissent pas dans l’oubli !

[2] LG 9.

Mbula N. Gilbert sx
18 Mars 2020
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