L’engagement missionnaire au quotidien pour porter la Bonne Nouvelle aux non-chrétiens et que je vis, dans le moment historique présent, parmi les mozambicains me rappelle chaque jour un peu plus à quel point Conforti a osé s’embarquer lui-même - et nous avec lui -, dans un “projet audacieux” mais qui, en réalité, n’est rien d’autre que “le rêve de Dieu : faire du monde une seule Famille” (cf. Documents du XVIIe Chapitre Général, num. 4 & 35). Pour moi la clé de perception de cette audace se trouve dans ce mot d’adieu de notre saint Fondateur, exprimé à la fois sous forme de vœu et de supplication orante à l’endroit de tous ses fils que nous sommes : “…l’esprit des Apôtres et la persévérance jusqu’à la fin” (LT nº 11). Il y apparaît, d’un côté, le paradigme de la figure apostolique qu’il nous montre en modèle - comme il le fait d’ailleurs à maintes reprises dans la LT - et, de l’autre côté, l’invitation à la persévérance - renvoyant déjà au numéro 3 de ce même écrit - que j’entends comme engagement sur la durée et le long terme.
Que ce soit dans la LT ou dans le vécu personnel de ma modeste expérience de la consécration missionnaire, il me paraît évident de constater que les vœux que nous avons professés s’entremêlent. Saint Conforti, quand il parle de pauvreté il fait dans son développement mention du détachement affectif (cf. nº 4) - l’affectivité ayant davantage trait au champ sémantique de la vie sentimentale et donc de la chasteté. Et puis quand il s’agit de chasteté il souligne en même temps l’importance de la sobriété (cf. nº 5) - laissant ainsi penser au sens de la modération même dans le domaine matériel. En parlant de l’obéissance il la rapproche à la suppression de sa propre volonté et au don fait à Dieu de sa liberté personnelle et, par conséquent, “nous considérer comme étant des instruments entre les mains de nos Supérieurs pour la gloire de Dieu et le salut de nos frères” (nº 6). Le vécu des vœux en vue de la mission sert la même Cause (cf. nº 2). Sur le plan spirituel une telle attitude requiert un esprit de vive foi.
Je pense que déterminer “la foi comme norme incontournable de notre conduite, au point qu’elle façonne nos pensées, nos projets, nos sentiments, nos paroles et nos actes” (nº 7) consiste à vivre ma consécration missionnaire dans une logique d’abandon filial à Dieu qui pourvoit à tout et en toute circonstance. De ce fait, en me préparant à prononcer mes vœux perpétuels, je n’avais pas demandé une quelconque destination de mission, même pas en termes de souhaits. L’affectation étant arrivée, je l’ai accueillie dans un acte de foi, sans savoir ce qui m’attendait au Mozambique, ma “Terre promise”. Je me consolais simplement à l’idée que j’aurai l’insigne privilège de connaître les contrées où avait œuvré, des siècles auparavant, le grand “Apôtre des Indes”, saint François-Xavier. Aujourd’hui, après six ans passés ici, je puis dire en toute joie et gratitude que le bien que le Seigneur réservait pour moi dépassait de loin mon imagination.
En me préparant pour la consécration ad vitam, je vivais dans l’attente de l’acte de départ comme “kaïros de témoignage de l’ad extra” (Documents du XVIe Chapitre Général, n° 54, § 1.c) vers ceux et celles qui ne connaissent pas encore le Christ (ad gentes) pour leur annoncer la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu. Je m’apprêtais à me rendre là où l’obéissance m’enverrait en m’abandonnant à la Grâce et passionné par le désir de contribuer au salut de la portion d’humanité vers laquelle j’allais être destiné. Je me répétais : “… que ce ne soit pas ma volonté, mais la Tienne qui se fasse” (Lc 22, 42). Je crois, en effet, que la vie de Jésus a été totalement centrée sur cette volonté du Père, même quand celle-ci constituait pour lui-même un défi à relever. Il a remis volontairement sa liberté au Père. Cela signifie que l’accomplissement du dessein salvifique de Dieu passe par l’adhésion libre de l’envoyé - απόστολος - qui, comme l’Envoyé, s’y engage personnellement en se vidant de soi pour mettre Dieu à la première place.
Se vider de soi, se décentrer de soi pour placer le projet de Dieu au cœur de notre existence est idéalement clair comme principe, même si cela l’est moins dans la vie concrète au quotidien. Or l’esprit de foi m’indique nettement que mon bonheur dépend uniquement de mon attachement au Christ et, selon Son exemple, n’échappe pas au passage pascal de la souffrance-mort-résurrection. Dès que le Christ est pris en compte et remis à la place qui est la sienne, c’est-à-dire au centre de notre vie, tout revêt alors une signification tellement différente. Au bout du compte, il demeure en moi la certitude que tout a un sens en Dieu. Et l’activité providentielle du Seigneur se déploie en-deçà et au-delà de ce que l’on pourrait concevoir même de meilleur. La manifestation de la puissance de Dieu ne passe pas seulement à travers l’expression de nos prouesses missionnaires mais aussi de nos fragilités personnelles et collectives - comme Institut.
En outre, Dieu nous parle parfois au sein des situations extrêmes. Notre peuple ici, tout comme dans plusieurs pays du monde, ressent le tourment de la menace liée à la pandémie du Covid-19. Et les incidences de cette situation sur le cours normal de la vie sont réelles. À peine on se relevait des désastres du cyclone (de Mars 2019) qu’on a déclaré officiellement que le virus avait été importé sur le territoire national (en Mars 2020). Toutefois sous l’angle de la foi, même une situation humainement complexe comme celle-ci peut être vécue comme une épreuve - parmi tant d’autres - sur notre marche à la suite du Christ. Et “Dieu nous console dans toutes nos épreuves” (2 Co 1, 4). Traversée avec Jésus, l’épreuve rapproche davantage le disciple de son Maître en l’arrachant à l’illusion du “self-control”. Or cette foi n’est pour personne un acquis définitif ; en chacun de nous réside le non-croyant appelé à se convertir. D’après mon expérience c’est un chemin qui exige prière constante, abnégation, ténacité, patience, persévérance... C’est ici que les pratiques de piété dont parle notre saint Fondateur (cf. nº 8) révèlent tout leur sens.
En dépit des va-et-vient au service de notre Circonscription sx, de la charge paroissiale et des tâches au niveau de l’archidiocèse, je suis profondément attaché à la nécessité des exercices de piété dans notre vie de tous les jours. Avant leur nombre et leur quantité ce qui est en jeu c’est la qualité et la valeur qu’on leur consacre. Il est vrai qu’au milieu de la multiplicité des activités communautaires, pastorales et d’enseignement on court parfois le risque de manquer du temps pour soi-même afin d’entretenir sa propre vie intérieure. Mais de là à abandonner le contact personnel avec la Parole de Dieu au travers des divers moyens présentés par la LT, on risquerait courir en vain. Je suis convaincu de l’importance d’une vie intime maintenue avec Christ car par Lui notre propre âme doit d’abord être conquise ; et c’est seulement ensuite que, par notre œuvre d’apostolat, Il pourra conquérir d’autres âmes. C’est l’Esprit Saint le véritable protagoniste dans cette démarche. Nous autres cherchons seulement à devenir Ses outils dociles et malléables.
Pour terminer, je dirai que regarder dans le vécu notre famille religieuse comme une mère, comme le dit Conforti (cf. nº 10), exige un esprit d’amour extrême envers celle-ci. C’est, en même temps, une réalité et un projet à bâtir en commun. Cela passe par le fait de se découvrir chaque jour un peu plus comme des frères (cf. nº 9) Que ce soit vis-à-vis du prochain avec qui nous vivons en communauté ou par rapport au lointain avec qui nous sommes unis par notre charisme et qui se trouve à n’importe quel lieu de mission. Aimer l’autre, cela s’apprend : accepter la différence, se débarrasser des apriorismes, faire place au dialogue, savoir attendre, recommencer sans cesse, etc. Cet entraînement de tous les jours ne sera jamais peine perdue tant qu’on tiendra compte de la portée en lui seul du témoignage de la vie fraternelle dans l’optique de construire un monde familial. La LT est, en fait, un trésor à redécouvrir et à faire connaître.
Robert Kowa Sado, sx
