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A propos du Jeûne et de l’Abstinence pendant le carême

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Il arrive que pendant le temps liturgique de carême les chrétiens catholiques s’interrogent sur le sens de la pénitence que prescrit la loi de l’Eglise ; tantôt pour mieux la comprendre, tantôt pour contester une pratique jugée non actualisée. Que signifient  jeûner et s’abstenir ? De quoi doit-on jeûner ou s’abstenir ? Qui doit ou ne doit pas jeûner ou s’abstenir? Voilà quelques questions auxquelles le clergé est sommé  d’apporter un éclaircissement en ce quarante jours qui précédent la Pâques.

Parce que la pénitence sous ses deux formes, à savoir le jeûne et l’abstinence, est avant tout une prescription légale, il est utile de savoir ce que dit exactement le Droit de l’Eglise avant même d’en faire une explication spirituelle. A mon avis, c’est de cette manière qu’on peut éviter les confusions qui entourent ce bel exercice physique et spirituel dont le but ultime reste l’amour de Dieu et du prochain.

En vue de cet éclaircissement, un jésuite philippin, Reginaldo M. Mananzan[1], nous vient en aide, grâce à son écrit de sept questions et réponses au sujet de la pénitence. Il l’avait publié pour le compte de la province jésuite des philippines dans la série « Quarante Jours de Carême ». Voici ce que nous apprenons de lui.

1. Selon le droit canonique, qu'est-ce qui est demandé aux catholiques pendant ce Carême ?

Les jours de Carême vont précisément du mercredi des Cendres au milieu de la journée du samedi saint. L'enseignement de l'Église catholique romaine sur le Carême est explicitement mentionné dans le canon 1250 du Code de 1983.  Il s'agit d'une simple directive selon laquelle le temps de Carême contient les jours et les heures de pénitence pour l'Église universelle.

La pénitence est un acte de mortification, c'est-à-dire toute douleur humaine observée ou vécue comme un signe que l'on se souvient et que l'on veut participer aux souffrances que notre Seigneur Jésus-Christ a endurées pour le pardon de nos péchés et notre salut. Les formes canoniques de pénitence pendant le Carême sont précisément : le jeûne et l'abstinence.

2. Que signifie exactement le jeûne ? Qui est tenu de jeûner ? Qu'est-ce qui nous est permis et interdit de faire ?

Le jeûne est l'un de ces deux moyens de pénitence du Carême que le droit canonique oblige (l'autre étant l'abstinence).  Selon le canon 1251, le jeûne doit être observé le mercredi des cendres et le vendredi saint.  Dans le canon 1252, le jeûne s'applique à ceux qui ont atteint leur majorité. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que cette loi s'applique à vous à partir de minuit de votre dix-huitième anniversaire jusqu'au début de votre soixantième année, c'est-à-dire jusqu'à minuit de votre cinquante-neuvième anniversaire.

La loi du jeûne prescrit la prise d'un seul repas complet par jour.  Deux repas plus légers sont autorisés pour maintenir les forces selon les besoins de chacun.  Il est interdit de manger entre les repas, mais les liquides, y compris le lait et les jus de fruits, sont autorisés.  

Ces détails sur le nombre de repas à prendre ou pas indiquent bien que cette prescription a été faite dans un contexte  d’aisance matérielle où l’on pouvait se permettre un tel luxe. Dans un contexte où les gens ne mangent qu’une seule fois, ne pas proposer une manière appropriée de mettre en pratique cette directive de l’Eglise  la vide de son sens. On peut par exemple penser au renoncement aux produits alcoolisés, à la cigarette ou toute autre privation que les gens peuvent se permettre sans s’infliger une peine de plus alors qu’ils souffrent déjà.

3. Que faire si je ne peux pas jeûner ? Quelles sont les raisons qui peuvent m'exempter du jeûne ?

Il est fondamental dans toute loi humaine que l'on ne puisse pas obliger quelqu'un à observer quelque chose qu'il n'est pas possible ou même inhumain de suivre. Les deux formes de pénitence, le jeûne et l'abstinence, sont appliquées de manière plus réaliste aux personnes fortunées, capables, puissantes et privilégiées.  Par conséquent, les personnes matériellement pauvres- et forment la majorité de ceux qui fréquentent nos célébrations dans les Eglises d’Afrique-, les grands malades comme ceux qui sont alités et immobiles, les domestiques et  tus ceux qui doivent travailler plus de neuf heures par jour, les employés dont le travail exige qu'ils soient attentifs comme les policiers et les agents de sécurité, les médecins et les infirmières en service, etc. doivent être exemptés.  Jésus n'est certainement pas un sadique pour exiger de ce genre de personnes qu'elles soient mortifiées davantage que ce qu'elles subissent déjà dans la plupart de leur vie quotidienne.

Beaucoup de sermons sur le jeûne passent sous silence cette remarque du père Reginaldo M. Mananzan, par peur d’ouvrir une brèche au laxisme ou par ignorance de conditions réelles de la vie des gens auxquels on s’adresse. Dans les deux cas, il s’agit d’un rigorisme qui croit servir la cause de l’Eglise. Une telle pratique ferait de l’Eglise une tortionnaire. Ce qu’elle n’est pas. Car elle est une mère.

4. Que puis-je faire au lieu de jeûner ?

Offrez vos douleurs (et le travail que vous faites et qui vous empêche de jeûner) en échange de l'obligation canonique de l'Église de jeûner le mercredi des Cendres et le Vendredi saint.

5. Que signifie exactement l'abstinence ? Qui doit s'abstenir ?  Qu'avons-nous le droit de manger et qu'avons-nous le droit de ne pas manger ?

Dans l’entendement courant, l’abstinence se confond avec la continence sexuelle et se garder de la fornication. Dès lors, on croit que les relations sexuelles sont interdites dans la vie d’un couple le jour de l’abstinence. Et que les jeunes non mariés devraient se garder de la fornication. L’abstinence comme une de deux formes de la pénitence pendant le carême ne se réfère pas à la morale sexuelle. Car les relations sexuelles découlent de la vie normale des couples mariés religieusement à l’Eglise. Quant à la fornication que les jeunes croient qu’elle serait interdite le jour de l’abstinence ; alors quel autre jour serait-elle autorisée ? Entant que telle, elle entre dans la catégorie du péché et n’a donc pas besoin d’être interdite un jour. Ce qui laisserait croire qu’elle serait autorisée un autre. Il est alors bon de saisir ce que signifie l’abstinence dont il est question pendant le carême.

En effet, l'abstinence est l'autre forme de pénitence que le droit canonique exige pendant le Carême (canons 1251 et 1252).  Outre le mercredi des Cendres et le Vendredi saint, l'abstinence doit être observée tous les vendredis, sauf si une solennité tombe un vendredi. La loi d'abstinence interdit la consommation de viande, mais les œufs, les produits laitiers et les condiments à base de viande peuvent être consommés.  Le poisson et tous les animaux à sang froid peuvent être consommés, etc. 

Encore une fois, il est utile de situer cette prescription dans le contexte européen qui a vu naître le Code du Droit Canon. A certains endroits où manger la viande est un luxe, l’interdire ferait sourire. La prescription a donc besoin d’être actualisée. S’agissant de l’âge,  la loi de l'abstinence s'applique à ceux qui ont terminé leur quatorzième année et plus.

6. Que se passe-t-il si je ne peux pas m'abstenir ? Quelles sont les raisons qui peuvent me dispenser de l'abstinence ? Que puis-je faire à la place ?

Les mêmes principes d'exemption s'appliquent que pour les points 3 et 4 ci-dessus.  L’Eglise propose selon les lieux de trouver d’autres moyens de vivre l’abstinence à défaut de ce qu’elle prescrit: Sauf le Vendredi saint et le Mercredi des cendres, l'abstinence peut être remplacée par des exercices de piété, comme la lecture de la Bible, l'assistance à la messe, la visite du Saint Sacrement, la prière du Saint Rosaire, ou par des actes de charité, comme la visite des malades et des prisonniers, l'aumône aux pauvres, ou l'enseignement du catéchisme.

7. C'est tout ? C'est tout ce que je dois faire en tant que catholique pendant ce Carême ?

Oui. Mais en fin de compte, la vie et l'amour ne se résument pas à "ce que vous devez faire". Les jésuites essaient toujours de vivre l'idéal du magis, du plus. Il ne s'agit pas seulement de "plus grand et meilleur", ou plus grand en nombre ou en taille. Le plus se rapporte ici à ce qui nous aidera à nous rapprocher de Dieu. Alors, quel magis pouvez-vous faire pendant ce Carême ? Quel est le plus que vous pouvez faire pour vous rapprocher de Dieu ? Le droit canonique ne peut pas répondre à cette question.

Le  père Reginaldo M. Mananzan sj aide ainsi à saisir ce qu’est la pénitence de carême selon le Droit de l’Eglise. Il reste à savoir son sens spirituel. Et pour cette fin, la liturgie durant tout le temps de carême est riche en propositions. Il ne faudrait donc pas réduire le carême à la pratique de la pénitence. Car ce temps grâce nous place au cœur de notre foi, au mystère de la passion, la mort et la résurrection de Jésus, au mystère de notre salut.


[1] Fr. Reginaldo M. Mananzan, SJ, in "FAQS about fasting and abstinence" (Lenten Season), February 9, 2016. La traduction du texte anglais est nôtre.

Louis Birabaluge sx
23 February 2023
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