Forum Culturel 2023
En ce samedi 25 mars 2023, se sont réunis à la maison régionale des Missionnaires xavériens de Bukavu, plus de 300 personnes venues écouter le témoignage de ce qu’a été et fait le Père Dominique Milani, ancien curé de la paroisse de Kamituga et Directeur Général de l’Institut Supérieur pédagogique de Bukavu.
Qui est Milani ?
Après le discours d’introduction et le mot de bienvenu prononcé par le P. Bernard Cibambo, sx supérieur régional de la RDC, la première conférence a été faite par le Professeur Paulin Bapolisi Bahuga[1] autour du thème « le Père Dominique Milani, un serviteur inutile de l’ISP Bukavu ». Dans son allocution, le prof Bapolisi a souligné que le Père Milani était très accueillant, il mettait ses hôtes à l’aise, il leur parlait avec respect et considération et les promenait partout à l’ISP entrain de leur faire visiter les différents services et bureaux de l’ISP. Milani s’est caractérisé surtout par la simplicité, l’hospitalité et la sollicitude.
Quand il arrive à l’ISP, Milani est très jeune, il n’a que 44 ans. Il arrive dans une école qui n’existe que de nom, il n’y a presque rien. Il va tisser des liens avec les organisations nationales et internationales comme USAID, Misereor et grâce à son savoir-faire et sa créativité, il va construire les bâtiments existants jusqu’aujourd’hui de l’ISP. Il veille à la qualité des enseignements, il accompagne des enseignants même dans les auditoires et n’hésite pas à mettre fin au service d’un cadre incompétent. Pour pousser les enseignants à s’améliorer, il a instauré un système d’évaluation des enseignants par les étudiants. Il était très ponctuel au point qu’il arrivait toujours le premier à l’école. Il accordait une grande importance à la communication. Pendant les rassemblements, il en profitait pour donner des conseils aux étudiants et il était le premier à mettre en pratique les conseils qu’il donnait aux autres. Il veillait à la condition des enseignants et encourageait les activités culturelles, sportives et mêmes récréatives en organisant des sorties y compris à l’extérieurs du pays (Rwanda, Burundi) avec ses enseignants.
Quel héritage nous a laissé Milani ?
Milani était un Père, un éducateur et un encadreur. Il encadrait spirituellement les agents de l’ISP en organisant des recollections, des retraites et des moments de ressourcement spirituel. Il veille à la discipline et aux bonnes mœurs ; c’est dans ce sens qu’il interdisait à l’ISP, les visites des garçons dans les chambres des filles. Milani a donné à l’ISP une identité et un gabarit remarquables sur l’échiquier national et international. Il a veillé et soutenu la qualification de plusieurs enseignants de l’ISP, il a doté l’ISP des bâtiments, des logements des enseignants, des bibliothèques, laboratoire, etc. Il a multiplié les sections, les filières et après lui cet élan a continué si bien qu’aujourd’hui l’ISP Bukavu est le seul institut supérieur ayant déjà livré le diplôme de doctorat au niveau de tout le Congo. Quatre doctorats ont déjà été livrés en Didactique des disciplines jusqu’aujourd’hui à l’ISP. Milani a sû faire de l’éducation son cheval de bataille si bien que grâce à son leadership, l’ISP Bukavu était appelé « la Sorbonne de l’Afrique ».
Milani et l’apogée de l’ISP
Le deuxième exposé a été fait par le Chef des travaux Vianney Kazunguzibwa Nyenyezi[2] autour du thème « Milani ou les années glorieuses de l’ISP ». Dans son exposé, il a souligné le fait que en Histoire, il existe ce qu’on appelle « les années de fer » et les « années d’or ». La présence du Père Milani a coïncidé avec les années d’or à l’ISP. Il est le pionnier et le bâtisseur de l’ISP. Il entre au pouvoir dans un climat d’insécurité, pendant que le Zaïre faisait face à une rébellion muleliste et les étudiants de l’ISP ont dû fuir à kinshasa pour y finir l’année académique.
En bon négociateur, le Père Milani va offrir sa mission de bons offices auprès des rebelles qui assiégeaient la ville de Bukavu jusqu’à les convaincre de capituler. Cela vaudra à Milani une sympathie du président Mobutu. Les deux hommes s’entendaient bien au point que certains détracteurs allaient jusqu’à soupçonner Milani d’être un agent de renseignement du régime Mobutu. Ce qui n’était pas vrai. Il a su opéré de grandes mutations au sein de l’ISP Bukavu. De l’école normale moyenne (ENM), à l’ISP, Milani a tout fait pour intégrer l’institution naissante au sein de l’UNAZA (université nationale du Zaïre). Grâce à ses efforts et son esprit entrepreneurial, l’ISP ouvre le cycle de licence et chaque après deux ans, une nouvelle section était ouverte.
En bon collaborateur et soucieux de la perfection, le Père Milani va s’entourer du Père Giuseppe Ibba « l’homme des chiffres » comme on l’appelait affectueusement, le Père Tassi Damaso et Monsieur Tshimanga wa Tshibangu homme de confiance et bras droit du Directeur général, l’ISP va se construire progressivement et se mettre debout. Milani va donner à son institution un rayonnement national et international. Il n’hésite pas d’inviter pour une conférence à l’ISP, les grands savants zaïrois de l’époque : Monsieur Valentin Yves Mudimbe, Mgr Tshibangu Tshishiku, etc. Milani était affectueusement appelé « le Vieux, Mzee » (un titre respectueux qu’on donne au sage en Afrique). Lors de la zairianisation, alors que tout le monde adoptait un nom zaïrois, il s’est donné le nom de « Milani wa Kasuku » car disait-il, on me reproche de trop parler.
S’il nous fallait résumer l’héritage de Milani pour l’Afrique, nous dirions qu’il est, dans « les Mémoires collectives » publiées par l’État congolais, considéré comme « une grande figure de référence », « un formateur des formateurs », « l’homme de gestion rigoureuse et orthodoxe ».
Milani un pasteur et ami des enfants
Le troisième exposé a été fait par le Chef des Travaux Jérôme Mubake Ndume[3] autour du thème « Dominique Milani : de Tangila à l’ISP/Bukavu ». C’est en 1963 alors qu’il n’avait que 12 ans que Jérôme Mubake rencontre un monsieur de « grande taille, blanc, chauve, toujours souriant » et que tout le monde appelait « Padri Milani ». Il découvre en lui un bon pasteur qui ne s’intéressait pas seulement aux adultes mais aussi aux enfants. À son bureau tout le monde y était reçu, il est toujours partagé entre la paroisse, l’école et la pastorale des visites dans les communautés. Jovial avec un bon sens d’humour, il était génie en ce sens qu’il savait presque tout faire : « prédicateur attitré, bon animateur, organiste, maître des chants, musicien, orateur talentueux », Milani avait un grand amour pour la mission et surtout pour ses paroissiens. Quand on lui exposait un problème, il ne disait jamais « je ne peux rien faire », il savait toujours trouver de solutions. Dévoué à la formation de la jeunesse par l’éducation, il était très discipliné, ponctuel et simple.
Milani ou le portrait d’un missionnaire polyédrique
La dernière conférence a été faite de façon brillante par le Père Antonio Trettel, sx sous le thème : « mes souvenirs personnels du P. Dominique Milani ». Dans son intervention pleine d’émotion pour avoir œuvré avec Milani, le P. Trettel a commencé par s’étonner du fait la présentation sur Google qui parle de l’ISP Bukavu ne fait jamais référence à Milani qui pourtant, a commencé cette institution ex-nihilo. Deux traits caractéristiques de Milani ont attiré son attention. D’abord Milani comme animateur missionnaire remarquable qui a fait connaître la congrégation xavérienne dans les quatre coins de l’Italie par sa plume et par ses voyages, attirant et apprenant aux jeunes à être missionnaires. Le P. Trettel se reconnaît lui-même comme fruit de l’animation du Père Dominique Milani.
Le deuxième trait caractéristique de Milani qui a parfois été oublié c’est sa diplomatie efficace grâce à laquelle il a su lutter pour défendre l’autonomie de l’ISP. En effet, l’ISP était convoité par l’état Zairois d’une part et la conférence des évêques du Kivu d’autre part. Grâce à sa diplomatie et son sens de fin négociateur, le P. Milani a sû apèser les appetits gloutons de deux côtés. Cela lui vaudra des inimitiés, des incompréhensions et surtout son départ dramatique de l’isp. Le drame a été porté à son comble quand on lui a signifié que non seulement il devait quitter l’ISP, mais aussi il devait quitter le Zaire et le déclarant persona nona grata. Il sied enfin de souligner son inclusivité. Chez lui tout le monde était bien reçu qu’on soit protestant, catholique, musulman, congolais ou rwandais, etc. telle une église au milieu du village. Père Dominique Milani, nous ne t’oublierons jamais.
Barthélemy Minani, sx.
[1] Depuis 1976, il a été accueilli à l’ISP par le P. Milani. Docteur en pédagogie, Bapolisi est professeur ordinaire à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bukavu. Il est l’un des rares enseignants qui ont travaillé avec le P. Milani et qui continue à œuvrer à l’ISP.
[2] Il est enseignant de l’ISP Bukavu dans le département de l’Histoire.
[3] Il est enseignant d’Anglais à l’ISP dans le département des langues.
