Le Chapitre général de 2001 de Guadalajara au Mexique a approuvé la Ratio Missionis Xaveria (RMX). Dès lors, ce document est considéré comme la « feuille de route » du nouveau style xavérien de la mission. A la lecture de récents documents de notre Congrégation-entendez surtout ceux du Congrès sur la mission(2012), ceux du XVIe Chapitre Général(2013) et la lettre envoyée par l’actuelle Direction Générale où sont désignées et précisées les orientations du XVIe CG – on est frappé par le nombre de références tirées de la RMX. A titre d’exemple, dans la lettre de la DG, la RMX est citée 11fois (voir IQuaderni de iSaveriani, n°80).
Cette référence obligée et fréquente à ce document vieux de 15 ans, nous a poussé à le relire à frais nouveaux. Après notre lecture, nous notons que notre RMX comporte trois tensions non résolues et qui, par conséquent, sont de véritables défis pour notre pratique missionnaire actuelle. Les lignes qui suivent se proposent juste de relever ces trois tensions, que sont :
- articulation entre la mission Ad Gentes et Ad Extra ;
- tension entre annonce explicite du Christ et/ ou dialogue interreligieux;
- la mission fondée sur l’être que sur le faire (évangélisation et/ou action sociale).
De prime abord, disons que notre RMX, en l’année de son approbation, était un document très actuel en ce qui concerne la théologie de la mission. Sa référence d’ailleurs constante à l’encyclique missionnaire Redemptoris missio du pape Jean Paul II (7/12/1990), célébrant le 25e anniversaire du décret conciliaire sur l’activité missionnaire de l’Eglise (Ad Gentes), n’est pas anodine; en sachant que ce texte pontifical disait clairement la volonté du magistère pontifical de donner un nouveau souffle à la mission de l’Eglise, entendue comme première annonce de l’Evangile, surtout au Sud du globe.
Par ailleurs, même si ce texte de Jean Paul II auquel se réfère la RMX eut bon accueil auprès des instituts spécifiquement missionnaires, on ne peut ignorer la polémique qu’il créa auprès des missionnaires engagés directement dans le dialogue interreligieux, surtout ceux œuvrant en Asie. C’est d’ailleurs pour tempérer cette polémique que le document : « Annonce et Dialogue. Réflexions et orientations sur le dialogue interreligieux et l’annonce de l’Evangile »(AD) fut publié en 1991, conjointement par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.
I. Les Tensions
1. Tension entre l’Ad Gentes et l’Ad Extra
Selon notre RMX l’Ad Gentes signifie l’orientation vers l’évangélisation de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ). Cette dimension dit notre caractéristique spécifique (C n°2. Elle nous définit au sein de l’Eglise et informe tout notre être (RMX 11). La dimension Ad Extra, quant elle, vient préciser l’Ad Gentes. Elle dit la nécessité de quitter effectivement son milieu ou sa culture d’origine vers un autre milieu ou une culture en vue de la mission (C9;RMX 12). A priori donc, les Gentes, les non-chrétiens, auxquels un xavérien est envoyé ne sont pas ceux de son pays, de sa culture. Ils sont ailleurs. Nécessité de quitter physiquement son pays pour aller vers ceux qui ne connaissent pas le Christ, tel est le sens de l’Ad Extra et l’Ad Gentes pour un xavérien. Disons aussi que la RMX ajoute que la concrétisation de l’Ad extra est gérée par la Congrégation selon les critères d’opportunité (RF 41; RMX 12.3).
Pourtant, même s’il se dégage un consensus sur la signification de ces deux caractéristiques xavériennes (Ad Extra et l’Ad Gentes), il n’en demeure pas moins vrai qu’une tension persiste entre elles. Elle se manifeste par l’impératif de quitter son pays pour aller vers ceux qui ne connaissent pas le Christ et la conscience de laisser ces mêmes gens dans nos propres pays; si pas devant nos portes. La mondialisation et les interconnexions que rendent possibles l’accès à l’internet, les mass-médias et les réseaux sociaux ainsi que le flux migratoire ne font qu’accentuer cette tension aujourd’hui. L’argument selon lequel la mission est partout ne fait en tout cas que gagne du terrain.
Dès lors que la mission n’est plus à sens unique ou pensée de façon géographique - même si c’est encore la conception qui se profile dans la RMX 12.4 ; RMI 37 et dans le document du XVICG, n°53.1. a -, et que les frontières entre pays à évangéliser et pays qui évangélisent sont devenues floues, n’y a-t-il pas besoin de repenser la signification de la mission «Ad gentes et Ad extra » ? Que signifie quitter son pays aujourd’hui alors qu’on a la possibilité de partir et de demeurer virtuellement présent dans son pays, dans sa famille, dans sa culture… grâce aux réseaux sociaux et aux autres moyens modernes de communication ? Où se trouvent ceux qui ne connaissent pas le Christ aujourd’hui ? En Asie et en Afrique seulement ? Et qu’en est-il de masses non-évangélisées européennes et américaines ? En tout cas, ces questions méritent d’être posées de façon incisive aujourd’hui mieux qu’hier!
2. Tension entre Annonce explicite du Christ et Dialogue interreligieux
La RMX aborde la problématique de l’annonce et du dialogue aux numéros 62-68; deux réalités qui concernent effectivement notre Institut. Or la RMX s’inscrit clairement dans la perspective de l’encyclique Redemptoris Missio, ce qui est en réalité un choix théologique. Nous avions déjà fait noter la polémique que créa cette encyclique missionnaire. Nous avons aussi mentionné le document Annonce et Dialogue qui fut publié pour rassurer les uns et les autres.
Dans ce document Annonce et Dialogue, nous trouvons la manière dont se pose cette tension entre annonce et dialogue. En effet, au numéro 4. 3, on y lit : « La pratique du dialogue suscite certains problèmes dans l’esprit de beaucoup. Il y a ceux qui sembleraient penser de façon erronée que, dans la mission actuelle de l’Eglise, le dialogue devrait tout simplement remplacer l’annonce. À l’opposé, d’autres n’arrivent pas à comprendre la valeur du dialogue interreligieux. D’autres encore sont perplexes et s’interrogent: si le dialogue interreligieux est devenu tellement important, l’annonce du message évangélique a-t-elle perdu son urgence? L’effort pour amener des personnes à entrer dans la communauté de l’Église est-il devenu secondaire ou même superflu? ».
Même si les auteurs du document Annonce et Dialogue demandent qu’on le lise à la lumière de RMI, il reste toujours le problème de l’articulation de l’Universalité du salut (1Tm2, 4) et l’Unique médiation de Jésus-Christ (1Tm2, 5) ou bien la nécessité de l’appartenance à l’Eglise et la conviction qu’en dehors de l’Eglise visible, l’Esprit de Dieu est aussi à l’œuvre dans le cœur des hommes qui cherchent un salut dans la fidélité à leurs propres traditions religieuses[1]. Tout compte fait, tenir ensemble la nécessité de l’annonce explique de l’Évangile et celle du dialogue interreligieux est un défi réel auquel les confrères engagés dans des contextes missionnaires où la possibilité de l’ouverture effective et visible à la foi chrétienne est trop lente ou quasi inexistante.
3. Tension entre l’Être et le Faire
En arrière fond de la mission fondée sur « l’être » que sur « le faire », il y a le débat sur la dichotomie entre l’évangélisation et l’action sociale, entre la mission spirituelle et la mission temporelle, entre la mystique et la politique. Notre Congrégation s’est prononcée sur ce débat en 2001. À l’imitation du Christ, lit-on dans la RMX50, nous donnons la priorité plus à la formation des personnes, par la Parole et le témoignage, qu’aux œuvres. Le missionnaire xavérien doit éviter que l’abondance de l’argent et des œuvres ternisse la force de l’Évangile qu’il annonce (RMX50).
Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de l’option préférentielle pour les pauvres(RMX51), concrètement l’instance sur la mission fondée sur l’être que sur le faire a quelque chose d’idéaliste et risque de faire du salut chrétien une réalité purement spirituelle si pas une pure digression. Les contextes de pauvretés matérielles dans lesquels nous œuvrons ne sont là que pour nous rappeler l’actualité de charité, entendue comme aide matérielle concrète aux nécessiteux !
Il est tout aussi vrai que les réalisations humaines ne se confondent pas avec le Royaume de Dieu que nous annonçons. Pourtant, dit Claude Geffré, on ne peut ignorer que ces réalisations, lorsqu’elles concourent à « un plus de dignité humaine », elles deviennent une anticipation du Royaume de Dieu dans le tissu de l’histoire[2] . Comment concilier : « l’impératif missionnaire de faire des disciples en les baptisant (Mc 16, 15 ; Mt 28, 19-20) et le « j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mt25, 34s) ? Telle est la question pratique que soulève la tension entre une mission basée sur l’être et/ou sur le faire.
II. Apprendre à « faire avec »
Peut-on supprimer ces trois tensions qui traversent notre RMX sans créer un malaise chez des confrères concernés par l’une ou l’autre réalité ? Leur maintient ou leur suppression, n’est-il pas un danger pour notre identité commune (même mission : première annonce de l’Evangile) et notre avenir pluriel (contexte de travail différents, origines et sensibilités différentes de confrères) ? A notre avis, il ne s’agit pas de les supprimer. Il s’agit de s’initier à les « habiter », apprendre à « faire avec » comme on dit couramment au Cameroun. Car elles participent à la complexité de la mission chrétienne elle-même.
Il est impossible de délimiter la mission de manière tranchée. La mission reste indéfinissable et toute tentative de la délimiter ne peut procéder que par approximations, nous avertit missiologue sud-africain, David Bosch[3]. Sans vouloir nier la spécificité et l’unicité de notre charisme, il nous paraît illusoire de croire qu’on peut aboutir à une manière univoque de concevoir la mission et la rendre effective. Les tensions qui traversent notre RMX manifestent les différents visages de la réalité missionnaire et de l’identité missionnaire dans le monde. Elles reflètent l’exigence toujours permanente d’articuler l’intelligence de la mission chrétienne et sa pratique concrète.
Or une juste articulation de l’une et l’autre (théologie et mission) demande un renouvellement constant du discours sur la mission, ses sources et ses motivations ainsi que les manières concrètes dont cette mission se vit. Fondamentalement, la complexité du sens la mission commande un renouvellement continu, un « aggiornamento » des agents de la mission. Dans cette perspective, il se pourrait que les difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui comme Congrégation soient, en partie, liées à un déficit de « mise à jour » missionnaire. Pour cette fin, il sied d’accueillir comme providentiel l’appel pressant ressorti du Congrès des Supérieurs Majeurs de Tavernerio (26Juillet-8Août2015) à revaloriser la « formation permanente » de tous les xavériens.
Convaincus de son bien-fondé, la Formation Permanente dont nous parlons beaucoup en ces jours peut nous aider à vivre avec joie et de façon fructueuse notre charisme missionnaire, en montrant, par nos paroles et nos actes, que la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu que nous annonçons est simplement vraie ; partout, pour tous et pour toujours. Car elle est le récit de l’amour de Dieu pour l’humanité et l’amour des humains entre eux ; lequel récit a un visage : Jésus-Christ. N’est-ce pas à cette attitude de foi convaincue que nous convie le pape François, lorsqu’il nous invite à être dans un « état permanent de mission » (Evangelii Gaudium n°25) ?
[1] GEFFRE Cl., Le Christianisme au risque de l’interprétation, Paris, Cerf (coll. « Cogitatio fidei 120 »), 1983, p. 308.
[2] GEFFRE Cl., « D’Evangelii Nuntiandi à Redemptoris missio. L’évolution de la théologie de la mission », Revue africaine des sciences de la mission, n°1(8-12/1994), p.106.
[3] BOSCH J. D., Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé/Paris/Genève, Haho/Karthala/ Labor et Fides, 1995, p. 20-21.
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