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Jalons pour une théologie chrétienne de l’art

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Alors que l’Eglise s’apprêtait à célébrer le jubilé de l’an 2000, le pape Jean-Paul II adressa une lettre à « tous ceux qui, avec un dévouement passionné, cherchent de nouvelles « épiphanies » de la beauté pour en faire don au monde dans la création artistique »[1]. Par ce texte, il entendait non seulement signifier son estime aux artistes, mais encore « contribuer à développer à nouveau une collaboration profitable entre l’art et l’Eglise »[2]. Dans la perspective d’une réflexion théologique, nous avons identifié trois pistes de recherche, suggérées par Jean-Paul II, que nous présenterons dans le cadre de cet exposé : le lien entre la morale et l’art ; le mystère de l’incarnation comme source d’inspiration artistique ; la production artistique comme lieu de manifestation de l’Esprit Saint.

Jean-Paul II estime que, pour saisir les liens profonds qui unissent l’art et la morale, il convient de ne pas confondre « la disposition grâce à laquelle l’être humain est l’auteur de ses propres actes et est responsable de leur valeur morale », et « la disposition par laquelle il est artiste »[3]. En effet, dans l’exercice de son métier, il ne s’agit pas d’abord pour l’artiste de façonner son moi, de transformer moralement sa personnalité, mais d’épanouir ses « capacités créatrices, donnant une forme créatrice aux idées conçues par la pensée » [4]. Néanmoins, s’ils sont distincts, il n’en demeure pas moins que morale et art s’appellent mutuellement : en produisant une œuvre, l’artiste exprime inéluctablement quelque chose de son « mystère » ; il manifeste son être profond et, à partir de là, dialogue avec les autres hommes. Envisagée sous cet angle, la production artistique est un acte autobiographique : par son œuvre, l’artiste révèle implicitement les questions existentielles, les ombres et les lumières, les joies et les peines qui marquent sa vie.

En plus, le rapport morale-art se manifeste quand on perçoit le lien qui existe entre le beau et le bon. Pour Jean-Paul II, « la beauté est en un certain sens l’expression visible du bien, de même que le bien est la condition métaphysique du beau »[5].  C’est dire que, dans la mesure où il est à la quête de la beauté, l’artiste contribue au rayonnement du bien : l’œuvre d’art dit le bien en manifestant le beau.

En outre, l’artiste ne se contente pas des phénomènes : il désire, par-delà les apparences, saisir, pour l’exprimer, le sens profond de la réalité. Il est à l’écoute de l’inaudible, scrute l’invisible, et exprime l’ineffable.  Dans cette optique, il peut trouver dans la religion chrétienne une source d’inspiration stimulante, car celle-ci est structurée autour du mystère de l’incarnation. Dit autrement : pour les chrétiens, le « mystère » s’est montré, l’ « invisible » par excellence s’est manifesté dans l’homme Jésus de Nazareth, « l’image du Dieu invisible » ( Col 1, 15). C’est dire qu’en raison de l’incarnation, le christianisme invite à saisir et à dire l’absolu dans et par l’image. L’artiste, qui éprouve et manifeste le pouvoir évocateur de l’image pourrait donc trouver, dans la religion du Dieu qui se révèle par son « Image », des lumières susceptibles de nourrir son imagination.

Enfin, au point de départ de toute production artistique, il y a une inspiration. Envisagée dans l’optique de la révélation judéo-chrétienne, celle-ci peut être interprétée comme une expérience de l’Esprit Saint. Le livre de La Genèse affirme, en effet, qu’alors que Dieu façonnait ce chef d’œuvre qu’est la création, quand « la terre était vide et vague », et que « les ténèbres couvraient l’abîme », un « souffle de Dieu agitait la surface des eaux (Gn 1, 1.2). La théologie chrétienne voit dans ce « souffle » une image de l’Esprit Saint. Aussi affirme-t-elle que le monde est la résultante d’une action trinitaire : le Père crée par son Verbe, dans l’Esprit Saint. Ce dernier participe donc à l’œuvre de la création, si bien qu’il est légitime de penser que l’univers est une « œuvre inspirée ». En prenant appui sur cette théologie de l’Esprit, Jean-Paul II déclare que « toute inspiration authentique renferme en elle-même quelque frémissement de ce « souffle » dont l’Esprit créateur remplissait dès les origines l’œuvre de la création »[6]. En d’autres termes, d’un point de vue chrétien, c’est l’Esprit Saint qui, dans le phénomène de l’inspiration, fait irruption dans l’existence de l’artiste, et lui découvre quelque chose de la beauté du mystère enfoui dans les choses.

En définitive, la lettre adressée par Jean-Paul II aux artistes nous a d’abord permis de comprendre qu’il faut distinguer, sans les séparer, l’art et la morale, car le bien dont s’occupe la morale s’exprime dans le beau qui relève de l’art, et réciproquement. Ensuite, le texte de Jean-Paul II nous a fait prendre toute la mesure de la source d’inspiration que constitue, pour le monde de l’art, le christianisme en tant qu’il est la religion où Dieu (l’Absolu) se dit dans « son image ». Enfin, la réflexion du pape nous a introduits dans l’intelligence du lien entre la pneumatologie et l’art. il nous est ainsi apparu que, par le truchement de « l’inspiration », le Saint Esprit se manifeste dans la production artistique.  

Pierre Emalieu sx

 

[1] Préambule de la Lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes.

[2] Ibid ; n° 14

[3] Ibid ; n° 2

[4] Ibid.

[5] Ibid ; n° 3

[6] Ibid ; n° 15

Pierre Emalieu sx
20 August 2020
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