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Consacrés africains pour quoi faire?

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LA FONCTION SOCIALE DES VŒUX RELIGIEUX

Vient de paraître aux Editions L’Harmattan de Paris un ouvrage sur la vie consacrée dans le contexte de l’Afrique subsaharienne, sous le titre : « «CONSACRÉS AFRICAINS POUR QUOI FAIRE ? Redécouvrir la fonction sociale des vœux religieux ». Son auteur est Louis Birabaluge, congolais, missionnaire xavérien travaillant actuellement dans la Région xavérienne de la Sierra Leone. Dans les lignes qui suivent, vous trouvez les grandes lignes développées dans l’ouvrage.

« Consacrés africains pour quoi faire ? »[1] est la question à laquelle nous tentons une réponse. Cette interrogation a été suscitée en nous lorsque nous avons pris connaissance des statistiques[2] de l’Église catholique de 2014 qui ont confirmé la croissance toujours en hausse du nombre des hommes et des femmes d’Afrique qui s’engagent dans la vie consacrée, dans un contexte subsaharien marqué par une crise sociopolitique.

Notre réflexion inspire du texte d’une conférence prononcée par l’abbé Jean - Baptiste Metz ( né en 1928)[3] : théologien catholique allemand, professeur émérite de théologie fondamentale à l'Université de Münster. Il est considéré comme le fondateur de la nouvelle théologie politique dans les années 1970 et 80. Metz a tenu cette conférence devant l’Union des supérieurs religieux d’Allemagne lors de leur assemblée annuelle de 1976. À cette occasion, Metz avait profité pour dégager les impulsions que contenait pour la vie religieuse le document approuvé par les évêques catholiques allemands en 1971 et dont lui - même avait rédigé l’avant - projet. Ce document des évêques est : Notre espérance. Une confession de foi pour notre temps.

Écrit pour et dans un contexte d’une Église déterminée, celle de l’Allemagne, le texte de Metz nous a semblé une belle application de cet adage africain : « les vielles marmites font de bonne sauce ». Trente - neuf ans après, nous trouvons qu’il est porteur d’une intuition : conception fonctionnelle des charismes des Ordres religieux[4], en regard de l’Église et la société. Une telle conception de la vie consacrée est, à notre avis, intéressante pour repenser l’identité et la mission des consacrés dans les Églises et les États africains.

En effet, dans sa conférence, Metz soutient qu’au fil de l’histoire de l’Église, les Ordres religieux ont toujours joué un double rôle à savoir: une fonction d’innovation ou de modèles productifs et une fonction corrective[5]. La première fonction, c’est - à - dire celle d’innovation, les religieux l’assument dans l’Église, chaque fois que de nouvelles situations sociopolitiques se présentent et que la « grande Église » n’est pas disposée à les affronter ; alors ce sont les consacrés qui surgissent comme des agents de secours de l’Église.

Tandis que le rôle correctif, les consacrés l’accomplissent dans l’Église dans la mesure où ils sont, dit Metz, une sorte de thérapie de choc opérée par l’Esprit Saint pour la grande l’Église[6]. Quand l’Église s’éloigne des exigences évangéliques et que surgissent des hommes et des femmes pour lui rappeler la radicalité de l’Évangile, alors, c’est cette fonction de correction qui est en œuvre. Ici, on saisit pourquoi les Ordres religieux n’ont pas toujours surgi dans des périodes de renaissance, mais en des temps de profonde désorientation et d’incertitude pour l’Église.

La double fonction, déclinée ci - haut, indique que lorsque les Ordres religieux « s’arrangent » pour vivre paisiblement et cela sans inquiéter la grande communauté chrétienne, ce qu’ils ont dilué l’énergie prophétique dont est porteur leur charisme. Cette trahison devient encore plus inquiétante en temps de grands bouleversements et de crise où la tentation pour toute l’Église est de vouloir mener une vie chrétienne minimale, inspirée d’un Évangile plus « acceptable ». C’est alors en ce moment précis que la fonction des consacrés doit être convoquée pour dire ce que signifie une vie sans compromis qu’exige l’Évangile et la suite de Jésus.

C’est pour cette raison qu’il faut décrier tout nivellement de style de vie, entre l’Église et les Ordres religieux. Il est le signe que les religieux ont cessé d’exercer leur effet de choc sur la grande communauté des chrétiens. Metz postule qu’il faut plutôt maintenir un certain antagonisme vivant[7] entre les deux. Car c’est de façon que les consacrés peuvent devenir une aide pour l’Église, laquelle est appelée sans cesse à se renouveler et renouveler le monde par l’Évangile.

Si le rôle des consacrés est d’être des modèles novateurs et correctifs pour l’Église, on ne peut donc que se réjouir lorsque les statistiques de l’Église catholique placent les Églises d’Afrique en tête en ce qui concerne l’augmentation des consacrés. Au même moment, on devient inquiet. Car inévitablement, on est poussé à se demander si les consacrés d’Afrique assument pleinement leur rôle : des modèles productifs et novateurs, lorsqu’on voit les hésitations des Églises et des sociétés africaines.

De bout en bout, l’ouvrage est porté par cette préoccupation. En examinant sommairement l’état des lieux des États d’Afrique subsaharienne où surgissent, de nos jours, de nombreuses vocations à la vie consacrée, nous nous demandons s’il n’est pas convenable de parler de « crise de vocations », en lieu et place de « vocations de crise ». Cette conviction est soutenue par cette conception fonctionnelle de la vie consacrée mise en œuvre par Metz et dont on a du mal à percevoir clairement les effets dans les Églises et les sociétés d’Afrique, en ce temps de crise.

Parce que la crise qui touche les sociétés et les Églises n’épargne pas ceux qui devraient être des modèles novateurs et productifs, c’est - à - dire les consacrés, nous posons leur retour aux sources de la vie consacrée : la suite de Jésus, comme condition préalable sans laquelle un renouveau de la vie consacrée en Afrique subsaharienne ne serait que du bricolage insignifiant.

Comme la vie consacrée n’est plus une nouveauté pour les fils et filles d’Afrique, nous évaluons, brièvement, le chemin déjà parcouru. Ici, nous nous interrogeons sur les tenants et les aboutissants du projet de l’inculturation de la vie consacrée en Afrique subsaharienne. Au fil du texte, nous indiquons ce que nous estimons être les raisons des hésitations-externes et internes- de l’inculturation des charismes religieux implantés dans les Églises d’Afrique.

La vie consacrée est caractérisée par le vécu des vœux religieux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté, vécus en communauté. S’il faut penser à nouveaux frais le rôle des consacrés des Églises et des États africains, c’est par rapport à une pratique renouvelée et redynamisée de ces trois vœux. C’est cette pratique des vœux religieux que nous postulons, en désignant en même temps leur fonction sociale. À tout moment, en suivant J. - B. Metz, nous désignons une double dimension de chaque vœu : sa composante mystique et sa dimension politique[8].

Par composante mystique d’un vœu religieux, nous entendons son enracinement dans la pratique de Jésus, selon l’enseignement de l’Évangile. Tandis que la dimension politique de chaque vœu religieux - le mot politique étant pris dans un sens assez global - rappelle que la mystique de la suite de Jésus n’est jamais hors contexte, qu’elle ne se développe jamais hors du destin social ou de la situation politique[9]. De cette façon, nous évitons à la vie consacrée la tentation de l’enfermement dans une recherche individualiste du confort. Mais nous l’ouvrons aux besoins en cours dans la société, en l’indiquant comme une réponse crédible.

Face aux crises des sociétés africaines, nous évoquons la suite de Jésus des consacrés, dans l’obéissance, la pauvreté et la chasteté comme une réponse pertinente. Par ailleurs, étant donné que la frontière entre les Églises et les sociétés africaines est difficile à repérer, et que par conséquent, les crises sociétales ont leurs ramifications dans les Églises, nous convoquons alors le radicalisme évangélique des consacrés comme un service vital d’abord à redécouvrir au sein des Églises d’Afrique subsaharienne elles - mêmes.

Alors que ce texte s’inspire des travaux déjà existant sur le sujet, il s’est enrichi des échanges avec des confrères et des amis, à plusieurs occasions. Que tous et chacun en soient remerciés. L’année prochaine, nous célébrerons le 20e anniversaire du meurtre de Mzee Munzihirwa Christophe, notre bien - aimé archevêque de Bukavu/ RDC, assassiné en le 29 octobre 1996. C’est spécialement à la mémoire de ce « prophète assassiné » que nous dédions cet ouvrage. 

Louis Birabaluge, sx 


[1] La question fait écho au titre de l’ouvrage de Hans Küng : Prêtre pour quoi faire ?, Paris, Cerf, 1971.

[2] « Dossier réalisé par l’Agence Fides, le 19/10/2014 », dans www.Fides.org, consulté le 25/04/2015.

[3] METZ J. - B., Un temps pour les Ordres religieux ? Mystique et politique de la suite de Jésus, traduit de l’allemand par J.- L. Schlegel, Paris, Cerf, 1981.

[4] « Ordres religieux » est employé dans le texte de façon générique pour parler des Ordres, des Instituts et des Congrégations.

[5] METZ J. - B., op. cit., p. 9 - 10.

[6] Ibid., p. 10.

[7] Ibid., p. 13.

[8] Ibid., p. 36.

[9] Ibid.

Birabaluge Louis sx
14 December 2015
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