Appelée à être signe de l’amour de Dieu dans le monde, la vie religieuse se fonde sur l’expérience d’amour de Dieu avec son peuple. Cet amour, Dieu l’a renouvelé, à travers les âges, à tous ceux qui ont désiré lui consacrer leur vie, dans la fidélité à sa Parole. Ainsi, consacrés à travers la profession des conseils évangéliques, nous faisons, continuellement, cette expérience d’amour avec Dieu, le prochain et nous-mêmes. De ce fait, nous nous détachons de tout : culture, terre, famille et amis pour embrasser le langage de la fraternité universelle dans le Christ. Cependant, notre consécration est confrontée à de multiples crises, telles que le consumérisme, le matérialisme, l’activisme ainsi que la dégradation de certaines valeurs éthiques qui corrompent, parfois, la beauté de notre oblation au Seigneur. Toutefois, c’est dans ce monde où Dieu n’est plus un repère moral, pour plus d’un que nous sommes appelés à marquer une différence, en témoignant de l’amour de Dieu, à toute épreuve.
Par conséquent, notre consécration doit nous pousser à quitter le « moi » afin d’embrasser le « nous », à renoncer à l’individualisme et à travailler pour une communauté des frères et sœurs dans le Christ. Pour ce faire, il est nécessaire que nous formions nos cœurs pour qu’ils soient en mesure d’offrir, au monde, un nouveau parfum d’amour. En effet, la formation du cœur ouvre à une mentalité nouvelle, une grande responsabilité et une adhésion totale à Dieu. Oui, il est indispensable que nos cœurs soient éduqués afin de reconnaître nos propres limites et arriver à forger en nous une confiance inébranlable en la miséricorde de Dieu. Ainsi donc, notre offrande à Dieu doit demeurer un parcours de foi qui exige de nous une disponibilité d’esprit et de cœur afin de revivre les mêmes sentiments de Jésus. Cela implique que nous ayons une maturité affective qui nous libère de la concupiscence de la chair, du désir de posséder ainsi que du besoin d’être maîtres de notre propre vie. Exerçons-nous alors à aimer nos vœux et le sacrifice que cela exige de nous pour que nos cœurs s’élèvent, inlassablement, vers la contemplation de l’amour divin et demeurent au service des frères et sœurs.
Introduction
Dès les débuts de son ministère en Palestine, le Seigneur Jésus a voulu associer à son œuvre des hommes qu’il forma afin qu’ils deviennent eux-mêmes l’expression de l’amour divin dans le monde. Lorsqu’il ressuscita d’entre les morts, il les envoya annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations tout en faisant des disciples. Cette mission s’est poursuivie dans le temps par des hommes appelés par lui et fortifiés par son Esprit Saint pour étendre le Règne de Dieu au milieu des hommes. Plus tard, Dieu, dans sa bonté, a choisi et appelé des hommes et des femmes pour vivre la radicalité de sa Parole dans la vie consacrée en fondant leur vie de foi sur la charité évangélique. Ceux-ci, puisqu’ils sont dans le monde, se trouvent confrontés à des multiples défis auxquels ils sont invités à donner une réponse concrète afin de renouveler, constamment, la saveur de la vie religieuse.
En effet, ces défis nous poussent d’abord, à nous demander en quoi ils peuvent influencer la vie à la suite du Christ ? Ensuite, à nous interroger sur comment redécouvrir la richesse de la vie religieuse ? Enfin, quelles peuvent être des réponses concrètes qui aident à renouveler cette saveur de la vie religieuse au sein de l’Eglise afin que son témoignage demeure efficace. Ainsi, il est nécessaire que nous analysions en peu de mots comment se présentent les défis auxquels la vie religieuse fait face. En outre, il nous faudra revenir sur les traces de la grâce de Dieu, telle qu’elle s’est manifestée au cours de l’histoire de la vie religieuse. Il conviendra après d’expliciter l’amour comme origine et accomplissement des conseils évangéliques pour une spiritualité du cœur.
1. DES CRISES ACTUELLES DANS LA VIE RELIGIEUSE
Aujourd’hui, « le monde où nous vivons a perdu en grande partie sa valeur de théophanie. La révélation que les hommes perçoivent en eux-mêmes, c’est celle de leur propre puissance bien plutôt que celle de Dieu.[1] » Il est désormais, des domaines de la vie de l’homme où la mondialisation dégrade le cours normal des choses. Ainsi, la mondialisation considère l’homme comme étant un « individu-roi qui aspire toujours davantage à une forme d’autonomie ou d’indépendance absolue, tend vers l’oubli de Dieu. Sur le plan moral, cette recherche de la liberté absolue implique progressivement un rejet sans distinction des règles et principes éthiques.[2] » Par conséquent, elle cherche à imposer une nouvelle éthique qui soit mondiale, résultante de l’interpénétration des cultures. Les valeurs telles que la pauvreté, la continence, la chasteté n’ont plus d’espace dans la société. Dieu n’est plus un repère moral ; pour plus d’un c’est plutôt la loi de l’économie qui dicte les nouvelles valeurs. La liberté est chantée sous le slogan de faire tout pourvue que ça plaise à un groupe singulier des personnes. C’est dans ce monde matérialiste où les intérêts conditionnent, plus souvent, le don et le service entre les hommes que les religieux sont appelés à faire la différence.
Cette figure de l’individu-roi ainsi que la force de la technologie créent, au regard de la vie religieuse, un certain déséquilibre du point de vue de l’identité religieuse. Car, actuellement, il est plus facile de procéder par un copier-coller de la culture de l’autre en rejetant en même temps les valeurs de sa propre culture. Ainsi, pour ce qui est de la vie religieuse, le danger peut être de vouloir revenir au monde et reprendre tout ce à quoi on a renoncé en oubliant, par là même, le fondement de la vie à laquelle on a toujours aspiré. On perd facilement la boussole. Et on tombe dans le relativisme culturel, même religieux parce qu’on n’est plus enraciné fermement dans les valeurs religieuses. Puisque, « le bien devient ce qui plait et convient à l’individu[3] », le risque sera donc de se permettre de faire tout ce qu’on veut en omettant la question fondamentale : « qui suis-je pour me permettre de faire une telle action » ? Ou tout simplement se demander comme saint Paul : que m’est-il permis ?
Suite à la prolifération des industries et des entreprises, les religieux sont, souvent, heurtés à un grand défi du consumérisme ; ce mode de vie, selon Larousse, axé sur la consommation et caractérisé par une tendance à acheter systématiquement de nouveaux biens. Ce courant crée un homme consommateur, « hommo consumens », selon la terminologie d’Erich Fromm. En effet, l’homme d’aujourd’hui est accro à la consommation et n’a qu’un seul objectif : consommer avec voracité les biens, la boisson, la cigarette, les films etc. A ses yeux, tout est objet de consommation. Son identité consumériste le conduit à tout acheter et ne se réjouit que lorsqu’il se retrouve avec un tas de choses : habits, livres, téléphones, ordinateurs, voitures, motos, etc. Néanmoins, au cas où cette attitude s’avèrerait présente dans des structures religieuses, cela pourrait porter préjudice au vœu de pauvreté. Ce comportement est loin de permettre aux religieux une vraie concentration et honnêteté dans le service aux pauvres. Elle pourrait même nous priver de notre intimité avec Dieu dans la prière puisque, le peu de temps que nous avons, nous pourrons alors le gaspillons dans des futilités. Or, saint Guido Maria Conforti n’a pas cessé de rappeler à ses fils Missionnaires que « la prière est la première activité du Missionnaire.[4] »
La vie religieuse est également confrontée au défi de l’activisme religieux. Il n’est pas rare de rencontrer des religieux qui, engagés dans la pastorale, ne savent plus s’en détacher pour trouver un peu de temps avec leurs communautés. Cette attitude fait oublier facilement qu’on a besoin d’un moment pour soi-même afin de se rendre compte de sa croissance spirituelle, humaine et religieuse. A cause d’un programme pastoral très surchargé, les religieux peuvent manquer aux moments de prières communautaire et personnel. En plus de cela, ils risqueront de ne plus bénéficier de la fraternité célébrée et confessé en termes de charité-amitié.
En 2016, pendant les assises sur la convention internationale sur les vocations sacerdotales, le pape François faisait remarquer que l’« activisme organisateur » ne laisse pas la place au silence intérieur et à l’appel du Seigneur. Face au défi de la crise de la vocation, il exhortait les évêques et les prêtres à se rassurer que la pastorale des vocations ne soit pas bureaucratique. Il leur faut, à l’instar de Jésus devant Mattieu, trois actions à mener dont : « sortir, regarder et appeler.[5] » Vu ces multiples défis auxquels la radicalité de la vie religieuse est confrontée, il convient de réfléchir intensément sur l’histoire de la vie religieuse comme étant une expérience d’amour. Ainsi, nous pourrons nous réarmer et fortifier les autres face à ces différents défis cités ci-haut bien que la liste ne soit pas exhaustive.
2. UNE EXPÉRIENCE D’AMOUR
Chaque expérience repose, particulièrement, sur une bonne connaissance. Elle n’est pas du tout fondée sur des images ou des illusions. C’est pourquoi, un bel accueil de la personne du Christ doit être accompagné d’une dépossession de toute conception terrestre de son image car c’est seulement l’amour qui peut dire vraiment qui il est. C’est pourquoi, il faut le laisser se révéler à nous. Cela fut l’expérience des premiers disciples du Christ. Lorsqu’il les appela à sa suite, ils se rendirent disponible à cette invitation. Matthieu précise : « Eux aussitôt laissant les filets, le suivirent.[6] » Ce caractère spontané propre à ceux qui se laissent attirer par le Christ. Les apôtres, une fois conviés à faire route avec le Seigneur, ne regardaient plus derrière eux. Ce qu’ils avaient abandonné en suivant le Christ, appartenait déjà au passé. Saisis par l’amour de Dieu, ils n’avaient plus qu’un seul désir : demeurer avec lui.
Dieu est amour, nous enseigne saint Jean dans sa première lettre. Étant l'identité même de Dieu, l'amour est aussi la vocation primordiale de tout homme, le chemin vers Dieu. De ce fait, tout discours ou toute louange ne peut vraiment dire Dieu, s’ils ne sont inspirés par l’amour même de Dieu. Karl Rahner pense en effet, qu’« il est clair que lorsque nous commençons à entreprendre cette relation aimante à Jésus, ce n’est pas nous, fondamentalement, qui prenons la première initiative. Nous sommes toujours-déjà en position de réponse, car l’amour de Dieu est déjà venu à notre rencontre.[7] » Saint Pierre nous en donne un écho lorsqu’il dit : « Seigneur, à qui irions ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le saint de Dieu.[8]» Exprimant ainsi sa foi, l’apôtre Pierre ne se faisait pas référence aux œuvres que Jésus avait faites bien qu’il en soit témoin oculaire. Mais, il fait mémoire de tant de souvenirs d’amour dont il a bénéficié auprès du Seigneur.
Cela dit, il nous paraît important de faire une petite lecture historique en relevant comment Dieu a pu accompagner l’expérience des hommes et des femmes qui ont choisi de ne vivre que pour lui. Depuis Abraham jusqu’au dernier prophète, Dieu a accompli son œuvre dans le monde en appelant son peuple à une fidélité à ses lois. Certaines personnes, se retiraient du monde déjà, du temps de Jésus, pour vivre la radicalité de la loi de Moïse et dans la proximité avec Dieu. C’est le cas de la communauté des Esséniens, par exemple. Les débuts de l’Eglise primitive furent marqués aussi par un abandon total des chrétiens entre les mains de Dieu. Ainsi, plusieurs n’hésitèrent pas à sacrifier leur propre vie par amour pour le Seigneur. Dès lors, l’Eglise a toujours connu des hommes et des femmes qui, pour une raison ou une autre, se sont consacrés, entièrement au Seigneur, parfois, dans la contemplation mais aussi dans le service aux frères. Ces personnes, mues par l’Esprit Saint, ont mené toute leur vie en présence du Seigneur en rejetant tout ce qui est du monde. Et, au moment opportun, ils ne manquèrent pas de rendre témoignage à travers le martyre.
Plus tard, la vie religieuse va naître dans l’Eglise et poursuivra, d’une manière ou d’une autre, le sens de ce retrait du monde. D’abord sous forme d’initiatives personnelles où les concernés se retiraient pour aller vivre au désert. Ici, ils observèrent un mode de vie très simple pour vivre, entièrement, voués à Dieu. Cette expérience n’a pas été sans effet, car, il eut de nombreuses personnes qui furent attirés par un tel genre de vie sobre, tendant au sacrifice suprême de leur propre personne. Ensuite, de différentes formes de vie communautaire vont se constituer dans le but de rendre plus efficace, leur témoignage d’amour. Des personnes qui se consacrèrent à ces formes de vie, s’appliquèrent à la charité fraternelle et à l’observance des règles établies par leur fondateur. Ainsi, la vie religieuse trouva, petit à petit, un sens plus efficace dans son expression active et contemplative. Plusieurs instituts naîtront de ce désir de vivre en présence du Seigneur dans l’annonce de sa Parole parmi les hommes. Et, cette annonce est, particulièrement, fondée sur les bases de l’amour.
3. POUR UNE SPIRITUALITE DU CŒUR
Pour éviter toute équivocité sémantique que porte le concept de cœur, nous le prendrons dans le sens du centre de l’affectivité par opposition à la raison et à l’esprit. Le cœur est le siège de la sensibilité morale, des sentiments et des passions. Les religieux sont invités à entrer dans la dynamique de la formation du cœur pour mieux le connaître. Cette formation est d’une très grande importance parce qu’elle ouvre à une mentalité nouvelle, une grande responsabilité et une adhésion totale à Dieu. En effet, l’éducation du cœur permet aux religieux d’être en parfaite communion avec Dieu et en bonne connaissance d’eux-mêmes. C’est pourquoi il sied de modeler leur cœur à la lumière de l’Evangile. Mgr Guido Maria Conforti était convaincu que la connaissance de la vie passe, essentiellement, par la connaissance du cœur. Il disait qu’« on ne connait pas sa propre vie sans connaitre son cœur. On ne devient pas maitre de soi sans avoir maitrisé son cœur, car la vie va là où le cœur l’emmène.[9] »
Les religieux sont des personnes de bons cœurs en ce sens qu’ils sont appelés à être des personnes capables d’évangéliser par le cœur. En effet, c’est par l’annonce d’un Evangile qui touche les cœurs des hommes qu’ils parviendront à persuader et à attirer les hommes à Dieu. Evangéliser par le cœur c’est d’abord, reconnaitre que c’est le cœur qui sent, qui aime Dieu et les hommes. Voici le commandement du Seigneur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même.[10] ». C’est par le cœur qu’on touche les cœurs des hommes. C’est effectivement ce que dit le Pape François dans Evangelii Gaudium en parlant de l’homélie. Le pape pense que l’homélie est la Parole de Dieu adressée à son peuple. C’est pourquoi, elle doit toucher le cœur de ceux qui l’écoutent. Il en est de même pour la pratique des vœux religieux. S’ils sont vraiment aimés par les religieux, des grâces ne leur manqueront pas pour une meilleure annonce de l’Evangile. La fidélité aux vœux exige, donc, une dimension d’amour ; un amour sincère envers le Seigneur qui nous fait confiance et « une charité à toute épreuve[11] » envers nos frères et sœurs.
Par conséquent, il est nécessaire d’éduquer son propre cœur afin qu’il soit en mesure d’offrir selon sa profondeur. Car, « le cœur est fait pour aimer et il se modèle selon les sentiments qui le dominent.[12] » Et aux missionnaires, saint Conforti exhortait : « cultivez dans votre cœur l’humilité, cette vertu élue qui, en faisant connaître à l’homme sa petitesse, l’empêche de s’enorgueillir.[13] » C’est avec cette attitude d’humilité que les religieux pourront bien témoigner de l’amour de Dieu au milieu des hommes et ainsi, arriver à vivre selon leur propre identité religieuse. En effet, lorsque le cœur du religieux est éduqué à l’humilité, il lui est plus facile de reconnaître ses propres faiblesses pour enfin se confier à la miséricorde de Dieu qui lui rassure une constante assistance. Ainsi compris, l’offrande de leur vie que font les religieux, ne doit venir que de leur cœur plein d’une expérience d’amour avec Dieu.
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Aimons[14] la pauvreté
A l’exemple du Christ qui s’est dépouillé de toute affection terrestre, les religieux sont appelés à témoigner en faveur de Dieu. Pour ce faire, il convient de manifester sa présence à travers des signes tangibles de la charité et de la fidélité. Certes, c’est le Seigneur lui-même qui façonne les cœurs de ceux qu’il convie à sa mission afin qu’ils soient en mesure d’offrir au monde un témoignage éloquent d’une vie, entièrement, vouée à Dieu. C’est pour cette raison que saint Guido Maria Conforti estimait que « la pauvreté, est le premier renoncement que le Christ exige de tous ceux qui veulent être parfaits et se proposent de le suivre de tout près. Car il veut régner seul sur leurs cœurs et c’est pour cela qu’il requiert d’eux le détachement affectif et effectif de toutes les choses de cette terre.[15] » Par conséquent, les religieux doivent s’exercer, continuellement, à sacrifier tout ce qu’ils possèdent afin de conquérir, sauvegarder et protéger l’œuvre de Dieu dans le monde.
Le mystère de l’incarnation remet en question notre conception de Dieu. En effet, « tout fut par lui et sans lui rien ne fut.[16] » Cependant, lui, de riche qu’il était, il choisit pourtant d’être pauvre afin de relever d’établir sa demeure parmi les hommes. Les religieux, imitateurs du Christ, se détachent aussi de tout : leurs culture, langue, terre, opinion ainsi que de tout ce qui est terrestre et embrassent le langage de la fraternité universelle dans le Christ. Le vœu de pauvreté est merveilleux et c’est Jésus seul qui nous le fait aimer. Il libère de toute attache au consumérisme et défie ainsi l’idée humaine de l’accaparement des richesses mondaines. Il permet aux religieux d’être attentifs aux souffrances des hommes et des femmes autour d’eux afin de lutter pour la préservation de la dignité des enfants de Dieu. Cela n’est possible que par l’amour que nous développons pour l’autre ; un amour qui aide à quitter le « moi » afin d’embrasser le « nous ». Cette dynamique permet de renoncer à l’individualisme et promeut une communauté des frères et sœurs dans le Christ.
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Aimons et prenons soin de la vertu de chasteté
Le monde est souvent attiré par ce qui éclate aux yeux. Devant un Dieu crucifié, la beauté qui brille d’habitude chez l’homme disparaît. Un Messie pauvre et humilié sur la croix ne ressemble pas à celui qu’attendaient plusieurs juifs. Or, le calvaire est le lieu de la gloire de Jésus sur la mort. C’est le lieu de son oblation totale pour sauver l’homme. En effet, le vœu chasteté qui peut paraître, bien souvent, comme une faiblesse, constitue l’une des beautés de la vie religieuse. Etant liée indissolublement à d’autres vœux, elle exprime, pourtant, une maturité affective qui n’enferme plus les religieux dans la concupiscence de la chair, mais les élèvent vers la contemplation de l’amour divin au service des frères et sœurs. C’est pourquoi, la chasteté vécue dans la fidélité, permet aux religieux d’établir une relation désintéressée avec tous ceux qu’ils rencontrent en les considérants ainsi, comme amis du Seigneur. Car, « de la même manière que nous aimons un autre être humain, de la même manière au moins, en tout cas, nous aimons Jésus.[17] »
Le choix pour la chasteté évangélique nous ouvre à un parcours de foi qui exige une disponibilité d’esprit et de cœur afin de revivre les sentiments même de Jésus. Le Christ, sur la croix, ne jugea ni ne condamna pas le bon larron, plutôt, il lui promit une place dans le Royaume de son Père. Meurtri par la violence et les injures de ses agresseurs, il choisit de rendre justice au bon larron qui reconnait sa faiblesse. Voilà l’image de Jésus qui se met à l’écoute de l’homme et partage pleinement sa misère. De la même manière, « notre cœur sera un bon cœur dans la mesure où il aura compassion des malheurs des autres.[18] » Le Christ ne s’est pas, d’abord, préoccupé de sa propre souffrance mais son amour a été si grand qu’il ne put résister au cri lui adressé. Par le vœu de chasteté, les religieux inaugurent la fraternité universelle dans la foi, telle que voulue par le Christ lui-même. Oui, « il sera important, pour reconquérir consciemment cette dimension sociale de la foi, de faire de nouveau percevoir que la foi chrétienne à Dieu Père doit nécessairement inclure le consentement aux frères, le sentiment fraternel qui unit les chrétiens entre eux[19]. »
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Qu'il nous soit cher le sacrifice de notre volonté
La vie religieuse est un don de la miséricorde de Dieu et la Mission nous met dans une relation d’amour avec le Christ et toute la création. Comme avec Abraham, le Seigneur choisit, régulièrement, de faire route avec nous et appelle à lui tous ceux qu’il veut. D’ailleurs, il précise : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.[20] » Par ces mots, il convient de saisir que la mission est un projet divin auquel nous participons. Par conséquent, le Seigneur exige de nous une disponibilité et un abandon confiants afin de mieux collaborer à son projet dans le monde. A l’exemple du Christ et en communion de toutes nos familles religieuses, nous rendons visible, dans le monde, l’obéissance même de Jésus. Par notre obéissance en fait, l’Esprit de Dieu nous ouvre au grand mystère afin d’aller et porter du fruit. L’obéissance religieuse est un parcours de foi. Il faut avoir cru en la providence de Dieu pour s’abandonner, entièrement, en lui. Car, sans cette ferme confiance et cet abandon généreux, il nous est difficile d’accueillir la volonté de Dieu dans nos affectations, par exemple.
En effet, le vœu d’obéissance nous fait entrer dans la spiritualité de Jésus Christ, lui qui, pendant sa vie sur terre, n’a pas cessé de lever les yeux vers le Père et implorer sa grâce. C’est par son Esprit que nous arrivons aussi à abandonner nos propres sécurités pour nous plonger dans une réalité inconnue, telle que nos pays de mission. Oui, « le Christ est l’homme pur et simple ; il est l’être humain en soi, dépouillé de toute particularité individuelle. L’homme s’insère donc dans le Christ dans la mesure où il devient ‘homme en soi’ en renonçant à soi-même, à son moi particulier.[21] » C’est l’amour du Christ qui nous pousse à tout quitter, notre être et tout ce qu’il comporte afin de commencer une nouvelle histoire au milieu de ceux qui nous attendent sans pour autant nous connaître. Ainsi, nous n’existons que par le Christ et toute notre histoire n’a plus à se constituer par elle-même car marquée, continuellement, d’un nouveau départ.
En fait, notre obéissance au Supérieur est une participation au sacrifice de Jésus puisque, « par son obéissance vécue dans la souffrance comme souffrance du pur Innocent, absolument sans péché et totalement aimant, il nous aurait ouvert, à nous les pécheurs, l’accès au Père ; car il aurait été totalement et complètement solidaire de nous.[22] » Il sied alors de comprendre que le sacrifice de notre volonté est une expérience de l’oblation telle que réalisée par le Christ lui-même et la mission est l’expression de cette oblation. En effet, le Seigneur Jésus, au temps prévu, n’a rien épargné, même sa propre vie ; il s’est plutôt abandonné entre les mains de Dieu pour qu’il reçoive son offrande avec amour. Ainsi, l’amour de tout religieux ou religieuse pour le Christ et pour ses frères et sœurs lui permet de s’ouvrir au mystère de la confiance afin de manifester l’amour de Dieu dans le monde.
CONCLUSION
Nous sommes à terme de notre réflexion sur l’expérience d’amour au sein de la vie religieuse. En commençant notre pensée, nous avons relevé des défis auxquels fait face la vie religieuse, en évoquant en même temps, leurs variations suivant qu’ils sont liés au consumérisme, à la crise identitaire et tant d’autres choses. Après une petite rétrospection historique, nous avons parlé d’une expérience d’amour sur laquelle repose toute vie dans le Christ et, en particulier, la vie consacrée. Ainsi, nous avons achevé notre réflexion en posant une spiritualité du cœur qui nous permet de procéder par une éducation du cœur. Cette partie nous a ouvert à la dimension des vœux religieux comme une identité à aimer.
En somme, l’intention de ce parcours a été d’analyser des multiples crises qui défient la vie religieuse aujourd’hui afin de proposer une spiritualité capable de pallier les différents problèmes liés à la fidélité aux engagements religieux. Ainsi, la petite histoire des communautés qui ont choisi de vivre, pleinement, en présence du Seigneur nous a rappelé l’origine de toute vocation et son accomplissement. Ainsi, nous avons souligné, de quelque manière, comment Dieu, dans sa bonté, a accompagné le sacrifice de ceux qui se sont voués, entièrement à lui. Il nous faut alors comprendre que le témoignage que l’Eglise offre au monde à travers les religieux est fruit d’une expérience d’amour que tous font avec le Seigneur. Cette expérience pousse à une vraie formation du cœur qui s’extériorise par la vertu, la générosité et la compassion, etc. Sans cela, il est plus facile d’entendre dire que tel religieux n’a pas de cœur. Ainsi, à l’ère actuelle nous osons dire que le témoignage dont il est question est celui de la compassion et de la tendresse. Ces deux sont une saveur, une force d’attraction dont a besoin la vie religieuse en particulier et la vie chrétienne en général.
Bacikuderhe Imani Denis,sx
Yaoundé – Mars 2022
[1] AGUILAR Fernando Sébastien, Vie religieuse, le défi de la sécularisation, Versailles, Ed. Paulines, 1971, p. 63.
[2] SARAH Robert, Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Paris, Fayard, Pluriel, 2016, p. 242.
[3]Idem, p.225
[4] Constitutions des Missionnaires Xavériens de Parme, Art. 43.
[5] www.la-croix.com/urbi-et-orbi/vatican/Pour-pape-Francois-pastorale-vocations-doit-etre-bureaucratique-2016-10-21-1200798033 consulté le 22/12/2021
[6] Mt 4, 19-22
[7] RAHNER Karl, Aimer Jésus, coll. « Jésus et Jésus-Christ », Paris, Desclée, 1985, p. 65.
[8] Jn 6, 68-69
[9] PAGES DE L’ANTHOLOGIE CONFORTIENNE, L’homme selon saint Conforti, Rome, éd. CDSR, 2021, p. 34.
[10] Mc 12, 30-31.
[11] Lettre Testament de saint Guido Maria Conforti adressée à tous les Missionnaires Xavériens, Parme, 1921, n° 10. (LT 10)
[12] PDP, no4.
[13] PAGES DE L’ANTHOLOGIE CONFORTIENNE, Op.cit., p.36;
[14] Nous reprenons la formulation utilisée par saint Guido Maria Conforti dans sa Lettre Testament écrite en 1921 à Parme, Italie. En effet, Mgr Conforti aimait utiliser le verbe « aimer » pour signifier l’importance de notre consécration religieuse.
[15]LT 5.
[16] Jn 1,3.
[17] RAHNER Karl, Op. cit., p. 67
[18] PAGES DE L’ANTHOLOGIE CONFORTIENNE, Op. cit., p. 47.
[19] RATZINGER Joseph, Frères dans le Christ, Paris, Cerf, 2005, p. 67.
[20] Mt, 28, 20b
[21] RATZINGER Joseph, Op. cit., p .70-71
[22] RAHNER Karl, Op. cit., p. 93.
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