... ou le réseau efficace des soeurs de Talitha Kum
Introduction
Le P. Nicolas Lefébure, originaire du diocèse de Rouen, fut ordonné au titre des Missions Étrangères de Paris (MEP) et envoyé en Thaïlande fin 2005. Après avoir passé une dizaine d’années parmi les montagnards Karens dans la région de Maesot, il réside maintenant à Bangkok depuis quatre ans, pour animer le groupe missionnaire MEP Thaïlande-Laos-Birmanie, en assurer le lien avec l’Eglise locale, et aussi accompagner la Paroisse francophone. Dans les décennies passées, nombre de ses frères aînés dans la Mission ont fondé des postes et travaillé avec les congrégations féminines. Au Sacré-Coeur de Klong Toey, il a rencontré soeur Kanyala, pionnière et opérationnelle sur la question contemporaine du traffic des personnes humaines.
Professe au Couvent du Sacré Cœur de Klong Toey à Bangkok et coordinatrice de TALITHA KUM en Thaïlande, sœur Agnès Kanyala TRISPOPA nous fait découvrir la contribution des religieuses dans la lutte contre la traite des êtres humains. Actée en Thaïlande depuis déjà 25 ans, leur action a précédé la visite du pape François, et l’amplifie.
Une suite appropriée à la visite du Pape à Bangkok
En novembre 2019, la Thaïlande s’était réjouie de la visite du pape François en pèlerin qui a su toucher les cœurs. Cela avait du sens, pour les catholiques minoritaires, de rencontrer leur pasteur et de prier à ses côtés. Et, pour la majorité bouddhique, à l’heure où le pays a besoin de dialogue en son sein, d’accueillir un artisan de paix humble et fraternel. Les gens se disaient « il est comme un père qui va produire du fruit en nous ».
Mendiant la présence des Thaïs à la table eucharistique - « vos visages, vos sourires et vos plaies manquent au christianisme » - le pape avait aussi félicité et encouragé les autorités du pays dans la recherche de solutions responsables aux problèmes de la crise migratoire et de la traite des êtres humains, ne manquant pas de faire le lien avec le nom par là mérité de « Thaïs » qui signifie « hommes libres ».
La vocation internationale de TALITHA KUM
Nous rencontrons donc soeur Kanyala, coordinatrice. Érigé en réseau international depuis 2009, TALITHA KUM rassemble des congrégations religieuses dans 76 pays sur les 5 continents. La parole « Talitha kum » (jeune fille lève-toi) que Jésus adresse à une enfant de douze ans apparement morte à qui il a saisi la main (Mc 5,41) symbolise cet effort des religieuses catholiques de par le monde pour lutter contre la traite des êtres humains. TALITHA KUM partage son expérience entre pays, mutualise ses programmes de formation, relie entre eux ses services (juridique, communication, groupe de pression, sauvetage) et déploie son action internationale en profondeur autour des « 5P » : prévention, protection, partenariat, persécution, punition.
TALITHA KUM en Thaïlande
TALITHA KUM prie (Journée mondiale relayée en l’église Saint-Louis à Bangkok) et agit pour briser les chaines de l’esclavage, afin que des vies renaissent avec espérance et dignité. Son action de prévention vise tous les mauvais traitements et dispense une information exhaustive sur ces questions (travail domestique, prostitution, esclavage dans l’industrie de la pêche…). Sœur Kanyala précise que l’époque moderne apporte son lot de fléaux, par exemple la vente de son corps par l’intermédiaire de réseaux sociaux, la gestation pour autrui d’enfants qui naitront au Laos et seront vendus en Chine, le transport frauduleux de migrants qui parfois y perdent la vie…
TALITHA KUM éveille à la vigilance. Dans les écoles (Sukkhothai, Prachinburi, Siracha…) et les villages (en particulier les tribus de la région Nord), une équipe de volontaires met en oeuvre un curriculum sur mesure, selon les besoins réclamés localement. La formation dure parfois jusqu’à trois jours, avec un soin particulier apporté la conscientisation des filles et des enseignants.
En plus de l’information donnée aux personnes vulnérables sur le terrain, TALITHA KUM rencontre aussi les catéchistes paroissiaux (par exemple dans le Sud, à Surat Thani) et les acteurs des congrégations religieuses, leur apportant connaissance des sujets et méthodologie pour travailler. Il s’agit d’expliquer en quoi consiste la traite des personnes humaines, le danger qu’elle entraine, comment la loi protège et condamne, et où trouver de l’aide (réseau TALITHA KUM, gouvernements et ambassades). Dans le domaine de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), les éventuelles poursuites judiciaires sont conduites par STELLA MARIS (Apostolat de la mer), tandis que TALITHA KUM réconforte les victimes et pèse afin que les condamnations fassent jurisprudence.
TALITHA KUM travaille aussi sur la réinsertion et la structure familiale, selon les maitres mots regarder, écouter, et aimer.
Conscientisation et coopération
La conscientisation est une oeuvre de longue haleine. Sœur Kanyala remarque que les personnes ciblées souvent manquent d’instruction et n’ont pas conscience d’être trompées. Elles ont donc besoin d’être enseignées. L’instruction majeure porte sur la dignité fondamentale de la personne humaine. Créée en vue de Dieu, une personne n’est pas une marchandise à vendre. Sœur Kanyala insiste sur la valeur de la personne, afin de désamorcer l’acte grave et dommageable de se vendre ou de vendre autrui, ce qui arrive chez beaucoup de personnes vulnérables quand elles finissent par croire qu’elles sont insignifiantes et sans valeur.
Dans la société de consommation thaïe où cet acte de se vendre est plutôt interprété comme étant volontaire, la Police réprimande peu. Le Gouvernement alerte, mais dans le registre moral (ce qui est permis et ce qui est interdit). Sa préoccupation est de veiller à la réputation du pays et à sa notation sur le plan international. Il faut rappeler que le rapport américain « Trafficking in Persons » (TIP) avait classé la Thaïlande Tier 3 en 2014-2015, c’est à dire au plus bas. Grâce aux efforts entrepris, le pays fut classé Tier 2 watching list en 2016-2017, puis Tier 2 en 2018, 2019, et 2020 encore. En effet, le Tier 1 n’a pu être atteint cette année, les mesures prises manquant d’efficacité. Pour le Gouvernement, TALITHA KUM constitue donc un bras opérationnel précieux, qu’il avait d’ailleurs récompensé en 2018. La coopération est multiple : hébergement de familles lésées à l’hospice de Pitsanulok et scolarisation de leurs enfants, ateliers de formation de femmes au Centre juvénile Ban Pranee de Nakhon Pathom, planification d’actions communes…
Soeurs catholiques et nonnes bouddhistes ensemble pour la guérison
Instruire sur la dignité est un enjeu élevé. Afin de ne pas prêcher dans le vide ou de manière trop théorique, TALITHA KUM exhorte très concrètement à l’absence de violence mutuelle à l’école, y compris dans les « posts » sur les réseaux sociaux. A cet effet, TALITHA KUM a ajouté en 2020 une dimension nouvelle à son action en se rapprochant de nonnes bouddhistes qui elles aussi protègent la dignité. Dotées d’un budget offert par le Vatican, sœurs et nonnes se sont liées pour œuvrer à cet objectif, dans le cadre du dialogue social et spirituel. Si le motif social parait évident, le motif spirituel n’est pas moins important. En effet, les religions redonnent espérance aux proies du trafic humain qui l’ont perdue. Pour soeur Kanyala, guérison physique et vie spirituelle sont ensemble le vecteur d’une bonne réinsertion dans la société.
A Bangkok, les nonnes bouddhistes de tradition theravāda contribuent à cette vue commune en accueillant une quinzaine de victimes dans leur monastère et centre de méditation de Songdhammakalyani, à Nakhon Pathom. Ce monastère est animé par la Vénérable Dhammananda Bhikkhuni (née Chatsumarn Kabilsingh). Ancienne professeur de religions à l’Université publique de Thammasat et à l’Université catholique de Sengtham, elle avait aussi animé un séminaire de formation pour TALITHA KUM en 2018. Et dans le Nord-Est à Yasothon, l’année 2020 voit aussi le rapprochement de TALITHA KUM avec Mère Thiew (née Suthasinee Noi-in et ordonnée nonne à Ubon sous le nom Sutha Samaneri), directrice du Centre Baan Home Hug à Yasothon qui accueille 130 enfants sans parents, dont certains sont atteints du sida.
Le savoir-faire fier et joyeux du couvent de Klong Toey
Pour la petite histoire, le pape revêtit, lors des célébrations liturgiques en Thaïlande, du bel ouvrage de broderie alliant soie fine et motifs thaïlandais, remarquables par leur minutie et leur beauté. Cette fière réalisation vient enrichir l’œuvre de couture qui existe au couvent de Klong Toey depuis sa fondation (début 20ème siècle). A cette époque, la confection délicate et moderne, selon le style occidental, eut la faveur de la reine et de la cour du palais, lesquels sollicitèrent les talents de l’atelier.
Mais la grande histoire, c’est la dignité des hommes et des femmes. Engagée de la première heure, sœur Kanyala a reçu une récompense en 2019 pour avoir fondé TALITHA KUM en Birmanie et au Laos. Son action est devenue sa passion, en vue du relèvement des personnes.
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