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Sierra Leone : La mission des héritiers

1923/500

Sierra Leone : La mission des héritiers

Depuis 1950, arrivée de quatre premiers Xavériens (Augusto Azzolini, Serafino Calza, Camillo Olivani et Attilio Stefani), jusqu’à nos jours, les confrères ont accompli une œuvre missionnaire immense qui suscite admiration chez un missionnaire nouveau-venu comme moi. Cela dit, après une expérience de plus deux ans dans ce pays, je mesure aussi l’immensité de nouveaux défis auxquels sont confrontés les héritiers que nous sommes. C’est donc avec un sentiment de fierté -à cause de l’héritage reçu ; et de perplexité - à cause de l’énorme travail qui reste à faire, que je livre le récit de mon expérience missionnaire ici.

1. L’émerveillement à l’arrivée

Je suis arrivé ici en janvier 2015, alors que le pays était confronté à la crise du virus d’Ébola. Ma joie fut celle de constater que les confrères avaient unanimement décidé de rester sur place, en signe de solidarité, alors que beaucoup d’expatriés avaient choisi de quitter le pays. Alors que j’étais en train d’étudier le Krio, la langue parlée couramment ici, j’avais eu aussi le temps de me renseigner à propos de l’histoire de notre mission surtout dans le diocèse de Makeni. En effet, ce diocèse occupe toute la partie Nord du pays. Cette vaste province doit presque tout aux Xavériens qui l’ont évangélisée. Écoles, dispensaires, hôpitaux et beaucoup d’autres œuvres sociales ont été initiés par les missionnaires, pour le bien d’une population majoritairement musulmane. Ce service missionnaire ‘ouvert à tous’, sans vouloir en faire nécessairement de chrétiens, m’a en tout cas impressionné. 

2. Mongo Bendugu : la mission aux frontières                               

Après mon apprentissage de Krio, j’ai été envoyé dans notre communauté de Mongo Bendugu. C’est une petite communauté chrétienne doublement aux frontières : géographique et humaine. Géographique, car elle est située dans un coin reculé et où l’accès est difficile faute de routes. Humaine, car la population vit dans la pauvreté matérielle réelle. Par exemple pour parler du repas, les gens disent : « 0-0-1 » ; c’est-à-dire: petit déjeuner : 0 ; déjeuner : 0,  dîner : 1 ! Bref, un modeste repas par jour.

Par ailleurs, vivre à Mongo est une expérience humaine formidable. Car les contacts avec les gens sont très faciles et sans protocoles. En plus de s’occuper de la petite communauté chrétienne de Mongo Bendugu, nous avons des écoles primaires dans de petits villages. Avec le curé, on les visite régulièrement. Ces visites nous permettent de garder contact avec les gens du village. À chaque visite, on a toujours la chance de recevoir un cadeau : une poule, un peu d’arachides, un peu de riz ou quelques fruits…Pour dire que même le fait d’avoir peu et de vivre de peu, n’empêche pas aux gens ici d’être généreux, surtout à l’égard des étrangers.

Une expérience particulière que je vis ici est celle du dialogue interreligieux. En effet, notre communauté chrétienne est une petite minorité au milieu des musulmans. Mais ici, les relations entre chrétiens et musulmans sont très bonnes. Pendant les fêtes chrétiennes comme Noël ou Pâques, les musulmans se joignent à nous pour célébrer. Il en est de même pour les fêtes musulmanes qui sont une occasion de joie pour tous, chrétiens et musulmans. Les gens qui fréquentent nos écoles sont en majorité des musulmans. Il y a même des écoles qui ne sont catholiques que de nom, car n’ayant aucun chrétien ni parmi les enseignants ni parmi les élèves. Et pourtant, elles sont catholiques et l’évangile y est annoncé. Car ces écoles servent la cause de plus petits : « chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40) 

3. La découverte de l’Afrique plurielle

La majorité de confrères qui ont œuvré ici sont des italiens. Étant originaire de la RD Congo, tout me laissait croire que je m’intégrerais facilement aux contacts de sierra léonais, africains comme moi. Après un peu de temps au village de Mongo, les gens ne comprenaient toujours pas pourquoi je n’arrivais pas à parler leur langue, le kouranko. Car selon eux, étant africain, j’aurais pu l’apprendre facilement. En réalité, j’y m’étais mis grâce à l’aide d’un enseignant, mais vite j’avais noté les grandes différences existant entre cette langue et les deux que je parle déjà : le mashi et le kishwahi. L’absence des outils pratiques comme les livres n’a pas rendu l’apprentissage facile non plus. Aujourd’hui, je ne peux que saluer quelqu’un en kouranko et pas plus. Cela constitue une vraie barrière dans la communication.

En plus de la difficulté d’apprentissage de la langue, je note aussi de grandes différences entre la culture des Kouranko et la mienne. À titre illustratif : le mariage. Je viens de la culture de bashi (tribu de l’Est de la RDC) où le mariage monogamique est en tout cas accepté, voire encouragé socialement. Se marier religieusement est même perçu comme un signe de réussite dans la vie. Or ici dans notre communauté chrétienne, j’ai constaté que l’idée du mariage chrétien monogamique a vraiment du mal à passer.

En effet, notre paroisse ne dispose d’aucun couple marié religieusement. Les quelques hommes qui étaient mariés avec une seule femme, ont préféré épouser une deuxième si pas une troisième! Plusieurs fois j’ai parlé avec les jeunes lors de nos rencontres de formation au sujet du bien-fondé du mariage monogamique et la réponse a toujours été : « ce mariage n’est pas fait pour nous » ! Comprenez : non au mariage monogamique !

Au-delà de la difficulté de vivre la radicalité de l’évangile dans le mariage, ce qui est un problème partout dans le monde, je crois qu’il y a de raisons culturelles profondes qui font que les kouranko préfèrent la polygamie à la monogamie. J’espère arriver à saisir ces raisons culturelles dans l’avenir. De cette expérience, je me convaincs qu’il est erroné de continuer à parler de l’Afrique comme d’un bloc culturel unifié. Vivant ici, j’ai découvert que l’Afrique est plurielle. Et que le fait de venir d’un pays africain ne me dispense pas du pénible effort d’apprentissage de la culture des autres peuples d’Afrique à cause du seul prétexte que nous sommes tous « africains » ! 

4. Les défis des héritiers

Après plus de quatre siècles d’évangélisation, la Sierra Leone reste un pays qui ne compte que 20% de chrétiens, toutes confessions confondues. Cela signifie qu’un de nos défis sera celui de continuer à proposer l’Évangile du Christ comme une parole d’amour qui change la vie des individus et les engage pour bâtir une société plus humaine. En langage missionnaire, je dirai donc que la mission Ad Gentes garde encore toute son actualité ici.

La charité comme aide concrète matérielle apportée aux démunis a toujours caractérisé la présence des confrères dans ce pays. Parce que la Sierra Leone reste toujours classée parmi les pays les plus pauvres du monde, le service caritatif comme manière d’annoncer l’Évangile gardera ainsi encore toute sa pertinence. Par ailleurs, comme missionnaires, nous courrons le risque de devenir des « alliés objectifs » de l’ordre social injuste, si nous devrions passer du temps à ne faire que de la charité, en passant sous silence la question de la justice sociale. Car en réalité, la Sierra Leone n’est pas un pays pauvre. La pauvreté de la majorité de la population découle de la corruption et la mal gouvernance. Dès lors, un autre défi urgent qui s’impose aux héritiers que nous sommes est de nous engager dans la promotion de la justice sociale. Tâche difficile certes.

Mais nous pourrions y contribuer en collaborant et en soutenant les structures de l’Église locale comme la « Commission Justice et Paix », les lieux de formation de leaders politiques et économiques de demain comme les écoles et les universités. En plus, pour nous et pour l’Église de la Sierra Leone, il y a nécessité d’œuvrer pour que nos structures (paroisses, écoles et hôpitaux) deviennent de lieux d’exemplarité en matière de la bonne gouvernance, d’équité et de justice. Car il sera difficile que notre parole soit entendue au sujet de problèmes de sociétés, si on trouve les mêmes antivaleurs (corruption, favoritisme, tribalisme…) à la fois dans les structures ecclésiales et étatiques. Une telle perspective ressort des orientations du Second Synode des évêques pour l’Afrique de 2009. C’est donc dans un souci de faire route commune avec toute les Églises d’Afrique qu’il nous faudrait opter pour une Évangélisation attentive aux dimensions sociales de la foi.

Louis BIRA sx

Louis Birabaluge sx
17 Marzo 2017
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